Charles Bertin

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Charles Bertin

Alors qu’il est le plus réservé des hommes pour ce qui touche à sa vie privée, il advient à Charles Bertin, qui vient d’avoir 80 ans en ce dernier automne du millénaire, d’être mis sur le pavois grâce à deux événements qui le touchent de près : d’une part, la très bienvenue réédition en livre de poche, dans la collection Babel d’Actes Sud, de son chef-d’œuvre romanesque : Les jardins du désert et, d’autre part, la somptueuse donation qu’il a faite avec sa femme, Colette Bertin, elle-même excellente relieuse, de leur collection bibliophilique.

J’ai assisté voici peu au vernissage de l’exposition de cette donation au Musée de Mariemont. Cette réunion de quelques-unes des grandes œuvres du 20e siècle, enrichies de somptueuses reliures et de quantité de dédicaces amicales ou savoureuses, est un enchantement pour l’œil et pour l’esprit. Le titre que l’auteur du Bel Âge a tenu à donner au catalogue, En mémoire d’une passion, est, en soi, un aveu de l’inclination amoureuse qui a occupé une partie de sa vie. La conjonction de ces deux événements nous fournit heureusement l’occasion d’un regard d’ensemble sur une œuvre qui a affiché dans toutes les formes qu’elle a empruntées une puissante et singulière autonomie.

Que cette œuvre ait pris racine en lui dès l’enfance, cela n’est pas douteux. Enfant unique, c’est à la lecture que, dès ses neuf ans, Charles Bertin se souvient d’avoir dû ses plus hautes joies. Écoutons-le les évoquer lui-même dans un texte autobiographique intitulé Autoportrait avec groupe : « J’ai toujours été un liseur de romans. Aussi longtemps que remontent mes souvenirs, je trouve en moi le besoin de dévorer le monde des autres pour en faire ma substance. Et je range parmi les bonheurs de ma mémoire les veilles clandestines de l’enfance, le Jules Verne déchiffré aux heures interdites à la lumière d’une lampe de poche, ces plans dessinés et redessinés sur mes cahiers de brouillon pour suivre la marche des naufragés à travers les marais des Tadornes ou les bois du Jacmar de l’île de Lincoln ». Les nombreux admirateurs de ce joyau qui a nom La petite dame en son jardin de Bruges se souviendront de la tendre relation qui unissait l’enfant de dix ans à sa grand-mère. Comment ne pas rappeler, puisque l’on évoque les sortilèges de la lecture, cet épisode du récit où nous la voyons dérober à son petit-fils, pour le lire à son tour, le roman sur lequel il s’est endormi ?

Aux côtés de cette figure tutélaire, Charles Bertin, qui est né à Mons, ne manque jamais de citer le nom de son oncle Charles Plisnier, le frère unique de sa mère : « Non seulement la moitié de mon sang est sienne mais ail a été mon père et mon ami et tout ce que le cœur et l’esprit peuvent devoir au cœur et à l’esprit d’un autre, je les lui dois. Des nombreux conseils qu’il m’a donnés, je n’en veux retenir que deux. Celui qu’il me prodigua lorsque, vers mes douze ou treize ans, je venais lui apporter en tremblant mon premier poème. Il le lut puis il me le rendit doucement : ‘Ce n’est pas mal mais un jour tu renieras ceci. Pour écrire comme pour vivre, il faut d’abord beaucoup d’amour’. Vingt ans après sa mort, j’ai découvert parmi les notes et les réflexions qu’il avait laissées sur son travail d’écrivain, une phrase dont la résonance est identique : ‘Le romancier est un être qui a tant d’amour qu’il se trouve devant l’univers en état de jalousie’. Et cet autre conseil qu’il m’a donné : ‘Méfie-toi surtout de moi !’ C’est ainsi que, dans le domaine de l’écriture, malgré la tentation considérable qui pesait sur le jeune homme que j’étais, j’ai toujours pris soin de me garder de son influence. Je crois pouvoir dire que les livres que nous avons écrits l’un et l’autre ne se ressemblent pas ».

Autre figure capitale de notre poésie qui règne sur les années d’apprentissage de Charles Bertin : celle de Marcel Thiry. Au début de 1940, pendant ses études de droit à l’Université libre de Bruxelles, le jeune poète adresse à l’auteur de Statue de la fatigue le premier numéro d’une revue qu’il a fondée avec José-André Lacour et quelques autres amis. Roland Mortier a évoqué cet épisode dans les termes que voici : « Il attendait de lui un remerciement, peut-être un mot encourageant. La lettre que Thiry lui adressa va bien au-delà : c’était le salut à un jeune confrère, la reconnaissance d’un accent original et nouveau, d’une parole poétique authentique. ‘Vous êtes un vrai poète. Vous avez reçu d’Apollinaire le secret du lyrisme débridé, ingénu, la spontanéité du rythme. Bous fabriquez très peu, tout vous est donné, mais vous avez tout de même la ruse et la prudence nécessaire pour faire un choix’. Et il conclut en ces termes qui auraient tourné la tête de bien d’autres poètes débutants : ‘Votre signal est reçu.de très loin, puisque nous ne nous connaissons pas, mais de très près dans la communion de la poésie, je vous envoie à mon tour mon signal fraternel et mon joyeux salut. Vous serez notre grand poète’. »

Plus loin, Roland Mortier rappelle que Charles Bertin s’enhardit, en janvier 1942, à soumettre un poème à Paul Valéry, alors de passage à Mons à l’occasion d’une tournée de conférences. À titre tout à fait exceptionnel Valéry dérogea à son principe de ne jamais répondre aux poètes qui sollicitaient son avis. « Je vous dis en toute conscience que je trouve dans cette pièce des indices vraiment rares du pouvoir d’expression poétique et un sens, un souci du tout que doit être un poème, qui m’ont frappé. »

De la poésie au roman

Dès lors, c’est sous ce triple parrainage que Charles Bertin va développer la continuité d’une œuvre qui choisit de s’exprimer tour à tour par la poésie, le théâtre et le roman.

Deux recueils de poèmes aux vers d’une brûlante austérité paraissent en 1947 et 1949 : Psaumes sans la grâce et Chant noir. La rigueur de leur écriture inaugure cette peinture de la solitude que Bertin tient lui-même pour la dominante fondamentale de son œuvre. C’est encore en 1947 que son Don Juan marque ses débuts éclatants au théâtre. La figuration qu’il nous propose de ce somptueux personnage est celle d’un « éternel masculin » qui constitue en fait, selon la parole de Denis de Rougemont, « le reflet inversé de Tristan ».

Cinq ans plus tard, son Christophe Colomb remporte le prix Italia, la plus haute distinction internationale dans le domaine de l’audiovisuel, qui vaut à cette œuvre d’être jouée par toutes les grandes radios du monde. Ici encore la solitude du pouvoir et de la gloire est ressentir par le héros comme une orgueilleuse soif d’accomplissement intérieur. La trouvaille du texte et, dès lors, de sa mise en scène est d’avoir ménagé une alternance constante entre les scènes poétiques et les scènes dramatiques et d’avoir resserré toute l’action à l’intérieur même de la caravelle amirale la Santa Maria pendant les soixante-neuf jours de la traversée. Enfin, Le roi bonheur (1966) résonne comme un cri de révolte contre « le désert de l’âge adulte » dans lequel, à l’exemple d’une sorte de Caligula dérisoire un souverain désespéré impose à ses sujets de répudier les faux-semblants en retournant à l’ordre rigoureux et enchanté de l’enfance.

C’est en 1961 que parait à Paris le premier roman de Charles Bertin : Journal d’un crime, dont le principal personnage, Xavier Saint-Pons, responsable involontaire du suicide d’un inconnu, poursuit avec lui-même un monologue sans concession et sans espoir. Deux ans plus tard Le bel âge replace le héros de ce premier roman dans l’atmosphère d’une ville de province au temps de sa jeunesse. Il n’est guère malaisé d’y reconnaitre Mons entre les lignes. Le charme d’un ton où l’ironie, l’allégresse et la férocité accordent leurs pouvoirs confère à cette chronique un parfum qui fait songer à Radiguet.

bertin les jardins du desert

Une quinzaine d’années plus tard, c’est à la mémoire de Jules Verne qu’est dédié le maitre-livre de Charles Bertin : Les jardins du désert. « On m’a demandé », déclare-t-il, « la signification de cette dédicace. Ma première réponse, c’est que je souhaitais m’acquitter d’une dette d’amour. La seconde est que Les jardins du désert constituent à leur manière un avatar des obsessions verniennes dans la mesure où le récit situe son action dans une île, dans la mesure aussi où il soumet ses personnages à l’épreuve du dénuement et de la solitude, dans la mesure, enfin, où il se voue aussi, selon l’exacte définition que Roland Barthes a donnée de l’œuvre de Jules Verne à une exploration de la clôture ».

Ce roman, qui a été couronné successivement par le prix de la Communauté française, par le grand prix du roman de la Société des gens de Lettres et par le prix de l’Académie de Bretagne, et qui se définit comme une aventure de l’avenir dont l’action se déroule au 21e siècle, apparait au premier abord comme le récit d’une « fin du monde ». À la suite d’un cataclysme qui a ravagé la planète entière, l’humanité se trouve réduite à une communauté de vivants rassemblés sur une île. Cette communauté, soumise par force à un dramatique retour aux sources, s’est organisée en une sorte de théocratie pastorale qui fonde sa stabilité sur une ferveur religieuse retrouvée et une hiérarchie sans faiblesse. Son chef unique, le Très-Saint, à la fois représentant de Dieu sur la terre et titulaire du pouvoir temporel, est le narrateur du livre.

Parvenu dans son grand âge et sans illusion devant les recommencements de l’Histoire, il entame son récit à l’instant où une nouvelle épreuve – celle d’une canicule et d’une sécheresse sans précédent – menace son peuple. Dans le triple cercle de solitude où l’enclot son pouvoir – l’Île, La Résidence et, dans celle-ci, la Chambre de la Tour -, il se trouve partagé entre l’action, les décisions, les arbitrages qui lui sont imposés par les circonstances et une réflexion humaine qui le pousse à en mesurer sans cesse l’inutilité.

Tout à la fois journal de combat dicté par les urgences de l’heure, relation clinique des derniers jours de l’humanité, méditation angoissée sur le sens de la vie, de l’Histoire, du temps, Les jardins du désert ne sont pourtant en aucune manière un constat de désespoir : une vieille soif d’émerveillement héritée de l’enfance et une confiance tenace dans la dignité de la créature permettent au narrateur de garder foi dans les dernières chances de l’avenir.

Composé avec un brio et un art du suspense dramatique qui tiennent constamment le lecteur en haleine, ce roman de la solitude ultime est écrit dans une langue d’une somptueuse exactitude où sourd en permanence, concertée autant que souveraine, la poésie de la mémoire : une écriture qui épouse et magnifie l’attrait aventureux d’un livre d’une inquiétante actualité qui ne fait que transposer dans « un futur qui a déjà commencé » l’image des périls qui menacent l’existence même de l’homme contemporain. Dès sa publication, cette parenté de situation et un certain niveau d’exigence spirituelle ont amené plusieurs critiques à inscrire Les jardins du désert dans la postérité du Jeu des perles de verre de Herman Hesse, de l’Héliopolis d’Ernst Jünger, du Désert des tartares de Buzzati ou du Rivage des Syrtes de Julien Gracq.

« Durant près de six ans », confie Charles Bertin, « mon île personnelle, ce fut l’écriture des Jardins du désert. Je me suis souvenu, en travaillant la structure du récit, du précepte de Charles Plisnier, selon lequel le roman doit être à la fois ‘architecture et symphonie’ et j’ai rêvé de le construire comme une demeure et de l’articuler comme une sonate : j’ai veillé autant que je l’ai pu à y ménager l’alternance des piles fortes et des piles faibles, la succession des mouvements lents et des mouvements plus rapides. J’ai tenté d’y doser la part du réalisme et de la poésie, de l’action et de la méditation, des descriptions et des dialogues, de la psychologie et de la métaphysique. Voilà ce que j’ai rêvé d’écrire. Pour le reste, je ne puis que passer la parole au narrateur de mon livre : arrivé au bout de ma route, ayant fait ce que je pouvais avec mes moyens infimes, je suis seul et j’attends dans le noir et dans l’espérance ».

Neuf ans après le coup d’archet magistral des Jardins du désert, Charles Bertin donne une fois de plus la mesure de son talent contrapuntique en publiant un nouveau roman : Le voyage d’hiver dont le titre est emprunté à une œuvre musicale on ne peut plus célèbre. « deux lignes de chapitres y alternent », observe Jacques De Decker : « sur un côté, le récit de la lente conversion d’un veuf à l’écriture de ce qui fut la grande fracture de son existence. Sur l’autre, les mois de bonheur qui, vingt ans auparavant, vinrent se fracasser sur un châtaignier par un matin d’hiver. Bertin n’a pas peur d’apostropher la destinée, cette grande muette. Pourquoi la mort frappel-t-elle un couple qui vient de se souder ? » « En même temps, poursuit le critique, son roman n’est pas tragique. S’il s’inscrit sur fond de deuil et d’irrémédiable, le livre est traversé par les plaisirs qu’un certain talent de vivre et d’en jouir peut procurer. C’est là, sans doute, que réside la tension presque électrique du Voyage d’hiver, dans cette opposition des puissances positives de célébration du réel aux forces négatives de la destruction et du néant ».

Telle quelle, voici cette œuvre chatoyante et subtile, aux multiples facettes, que son auteur a située depuis l’origine sous le signe de la solitude et de la quête du bonheur, et qu’un recueil de nouvelles publié chez Actes Sud au cours des présentes semaines vient d’enrichir encore. Ceux qui connaissent quelque peu la personnalité de l’homme savent qu’il est convaincu que l’art constitue la seule réponse que l’être humain puisse opposer à la mort.

Est-il besoin, pour achever ce portrait, de rappeler la passion violente, amoureuse, que Charles Bertin nourrit à l’égard de la langue française ? Cette langue dont il défend la dignité et la survie à Rhode-Saint-Genèse avec la vigueur et la générosité que l’on sait. Désirant lui rendre justice, ses concitoyens francophones ont d’ailleurs décidé de donner son nom à la bibliothèque qu’il a contribué à fonder et qu’il dirige.

Jean Tordeur

Un homme au miroir de ses livres

Montre-moi ta bibliothèque et je te dirai qui tu es. Ce qui rend aimable la collection de Charles et Colette Bertin, dont une partie se trouve exposée au Musée de Mariemont jusqu’au 31 décembre, c’est que l’on voit et que l’on comprend, au premier coup d’œil, qu’elle n’a pas été faite à coup d’argent lors de ventes sensationnelles, mais amassée patiemment, amoureusement, au fur et à mesure des disponibilités, au hasard des trouvailles, au fil des amitiés. Ce qui en fait la singularité, c’est d’être une œuvre à deux auteurs, puisque Colette Bertin, relieuse de talent, a habillé avec un gout parfait nombre de volumes de la bibliothèque conjugale, concourant à lui donner son visage et son unité.

À l’évidence, nous ne sommes pas en présence d’une collection de prestige dont les volumes rares sont accumulés pour n’être jamais ouverts. Charles Bertin a aimé la lecture avant d’être fasciné par l’objet-livre. Il le raconte dans le beau texte d’introduction au catalogue de l’exposition où il retrace, avec simplicité et l’envie de faire partager ce qu’il aime, l’histoire d’une passion. Au commencement, il y eut un enfant unique et solitaire qui dévorait Jules Verne sous l’édredon, reconstituait les plans de l’île mystérieuse dans ses cahiers d’écolier et faisait de Robinson, John Silver, Athos ou Sinbad les compagnons d’aventures imaginaires dont il était « à la fois l’auteur, le metteur en scène, la distribution et le public ». Cet émerveillement ne l’a jamais quitté.

Tout collectionneur a connu dans sa vie une «scène primitive » qui décida de son destin. Celle de Charles Bertin prit place au cours de la sa treizième année, dans la bibliothèque de son grand-père maternel. Monsieur Plisnier conservait ses livres dans une vaste armoire verrouillée. Fermeture toute symbolique, puisque chacun savait où se trouvait la clé. Il n’en fallait pas mois demander l’autorisation pour accéder au saint des saints. Dans ce « minuscule rituel […] conférant la dignité d’une protection particulière à l’univers des livres », l’auteur de La petite dame en son jardin de Bruges se plait aujourd’hui à voir l’origine d’une passion qui allait s’épanouir à l’âge adulte.

Méditée, cohérente et personnelle, la collection de Charles Bertin est précisément située dans le temps. D’instinct, son gout l’a fait élire la période de l’entre-deux-guerres, l’une des plus riches à son estime de la littérature française, cependant que son inclination le portait vers les éditions originales plutôt que vers les luxueux illustrés, dont le trop riche décor se fait souvent valoir au détriment du texte, au point de l’éclipser. D’Audiberti à Yourcenar en passant par Bernanos, Céline Claudel, Cocteau, Colette, Gide, Giono (l’écrivain prisé entre tous, qui lui fera cadeau de précieuses pages manuscrites lors d’une visite à Manosque), les deux Julien – Gracq et Green –, Franz Hellens, Jouve, Larbaud, Malraux, Supervielle et l’on en passe, le choix des auteurs dessine un panorama représentatif de la période envisagée. Pour autant, Bertin n’a pas visé l’exhaustivité. Le gout du lecteur, ici encore, a commandé au choix du bibliophile. Si tout Crommelynck figure en éditions originales, on cherchera en vain ici un titre de Ghelderode, pour lequel il confesse sans honte une allergie.

Mais s’il fallait trouver un fil rouge à l’exposition, ce serait certainement l’amitié qui a lié l’écrivain à ses frères et sœurs en écriture et aura joué un rôle essentiel dans sa vie comme dans le constitution de sa collection. En font foi le nombre et la qualité des envois, parfois enrichis de dessins, qui accompagnent les volumes offerts par Marcel Thiry, l’ami de toujours, Luciennes Desnoues, Lucien Jacques, Suzanne Lilar, Jean Tordeur ou Paul Willems. Et l’on imagine l’émotion du collectionneur en recevant de Thiry l’exemplaire sur Japon de Toi qui pâlis au nom de Vancouver que ce dernier avait offert à sa mère cinquante ans plus tôt, ou son amusement en découvrant les dédicaces fantaisistes et multicolores dont Norge se plaisait à enrichir ses livres : ainsi du très jolie recueil à l’italienne des Oignons, « ici liés en petit bouquet tout cru pour fêter le printemps et redire les amicales pensées » de l’auteur.

Pour Charles Bertin, la littérature n’aura pas été un domaine à part, mais le tissu même de la vie. À côté des livres, le choix des lettres et de manuscrits exposés à Mariemont témoigne de cette existence vécue par et pour la chose écrite. Contrairement à celle des livres, la réunion des manuscrits, le plus souvent des dons des auteurs, n’obéit pas à une volonté de collection. On y trouvera divers brouillons de textes (de Marcel Thiry notamment) à différents stades d’élaboration, d’un intérêt certain pour les chercheurs et surtout Mariages de Charles Plisnier, corrigé, sinon réécrit de fond en comble à la main sur l’exemplaire de l’originale en vue d’une réédition.

À la base de toute collection, on retrouve le désir de se construire une biographie imaginaire mais matérialisée, comme un rempart contre la mort. Rempart illusoire neuf fois sur dix : le destin courant de la collection après le décès du collectionneur, c’est l’anonymat de la dispersion. En faisant don de leur bibliothèque au Musée de Mariemont, Charles et Colette Bertin en ont décidé autrement. Leur legs enrichira en outre de manière décisive le fonds exceptionnel de Mariemont, lequel, constitué pour l’essentiel de la collection de Raoul Warocqué, décédé en 1917, se trouvait par le fait même assez pauvre en témoins de la bibliophilie française de notre siècle.

Thierry Horguelin


Dossier paru dans Le Carnet et les Instants n°110 (1999)