
André Fontainas dessiné par Félix Vallotton dans le deuxième Livre des Masques, 1898 de Remy de Gourmont
Certains livres, certaines œuvres n’ont pas la chance de passer à la postérité. Relégués en notes de bas de page, méconnus, presque oubliés, nombre d’entre eux méritent pourtant de figurer en meilleure place dans l’index des œuvres citées. Une chronique pour redécouvrir quelques-uns de ces ouvrages perdus de vue…
Si le nom d’André Fontainas n’est pas complètement oublié aujourd’hui, c’est avant tout pour son activité de mémorialiste, témoin capital qu’il fut de la frénésie du mouvement symboliste qui anima les esprits au tournant des 19e et 20e siècles. Aussi peut-être parce qu’il est né à Bruxelles en 1865 et qu’une place porte son nom en hommage à un de ses aïeuls qui fut bourgmestre de la ville de 1860 à 1863. C’est que notre homme a connu et côtoyé tous les protagonistes de la littérature de l’époque à Paris où il suit sa famille dès l’âge de 14 ans. Il y fréquente le Lycée Fontanes (actuel Lycée Condorcet). Ses condisciples ? Le futur poète Stuart Merrill dont il préfacera, des années plus tard en 1925, un recueil posthume, mais aussi l’avant-gardiste René Ghil, le revuiste toulousain Ephraïm Mikhaël ou encore Rodolphe Darzens qui jouera le rôle que l’on sait dans la diffusion de l’œuvre de Rimbaud. Du côté des enseignants, un poète et non des moindres, Stéphane Mallarmé alors jeune professeur d’anglais. Balançant entre Paris et Bruxelles, Fontainas prendra part à toutes les entreprises littéraires du temps, du Mercure de France où il est attaché, aux plus importantes revues, La Jeune Belgique, La Société nouvelle, La Plume, L’Art moderne, La Belgique artistique et littéraire. Traducteur, critique d’art, essayiste (on lui doit notamment un ouvrage sur Rops), il écrit également dans des revues étrangères comme La Patria, publiée à Rome. Infatigable même si de santé précaire, André Fontainas se tient au courant de toutes les avant-gardes, scrute les nouvelles publications, attentif, curieux, sagace. Lucide, il s’exprimera d’ailleurs en ces termes dans les premières pages de son livre le plus connu, Mes souvenirs du symbolisme, « on m’attribue les mérites d’un témoin perspicace plutôt que d’un participant passionné »[1].
Quid dès lors de sa propre production poétique ? Dès 1884, le jeune étudiant en droit de Bruxelles fonde avec son ami Henri de Tombeur une revue, La Basoche. Il y publie ses premiers textes sous le patronage remarquable de quelques noms de poètes parisiens tels que Jean Lorrain, Mendès ou Huysmans ! Très vite, les textes s’enchaînent, poésie et articles sur la peinture. Les rencontres se tissent pour le jeune poète qu’il est désormais, entre Bruxelles et Paris. Mallarmé, Viélé-Griffin, Rodenbach, Mockel, son grand ami, mais aussi Van Lerberghe, Ajalbert, des peintres, Seurat, Gauguin, des musiciens aussi, Debussy ou Duparc, tous croisent la route de notre homme. Comment dès lors trouver sa voix au milieu de ce foisonnement artistique dont il sait qu’il est un témoin privilégié ? Peut-être justement parce qu’il se posta aux premières loges de cette révolution littéraire à contre-courant du Parnasse et du naturalisme, considéré par beaucoup comme l’ami avisé, dévoué et bienveillant, n’a-t-il pas eu l’audace de certains de ses condisciples de l’époque. Comme le signalait le poète et critique Henry Charpentier, l’œuvre de Fontainas semble résumer à elle seule les préoccupations esthétiques de l’école symboliste. On y trouvera donc peu d’élans personnels, comme si le poète endossait à nouveau le rôle de compilateur, d’observateur des différentes tendances qui ont animé le symbolisme. Une quinzaine de recueils publiés, certains au Mercure de France, semblant faire la synthèse poétique des multiples personnalités qui ont fait les riches heures de cette fin-de-siècle.
En feuilletant ce Choix de poèmes publié deux ans après sa mort et rassemblé par sa dernière épouse, la peintre Marguerite Wallaert, on peut néanmoins se faire une idée de la maîtrise technique qu’il avait pu acquérir au contact des plus grandes plumes du temps. Une œuvre comme coupée en deux, marquée par deux événements tragiques, la première guerre mondiale bien sûr, mais surtout par la mort de son fils de 19 ans en 1911. Ses premiers recueils, Les Vergers illusoires (1892) ou Les Estuaires d’ombre (1895), sont directement influencés par Mallarmé et Verhaeren. On y retrouve les préciosités et l’atmosphère étrange de la poésie symboliste. On y sent aussi une nostalgie pour le pays de l’enfance quitté trop tôt, cette Belgique vers laquelle il reviendra souvent, partageant sa dilection tant pour les paysages de Meuse que pour ceux de l’Escaut, l’Ardenne et Le Port d’Anvers, titre d’un de ses ouvrages paru en 1916. Après la date fatidique du 11 juillet 1911, les accents se font plus personnels, plus verlainiens et la pensée se tourne vers Valéry. Ce sont peut-être ces vers-là qu’il conviendrait de retenir, d’extraire des étagères poussiéreuses. Une langue sereine, apaisée qui sait la vanité du monde, chantant la vie humble et désintéressée du passeur qu’il ne cessa d’être.
Rony Demaeseneer
Extrait
Va. Chacun a sa part de joie et d’infortune,
Étroite ou large, sort inconstant et mêlé.
Que l’ivraie envahisse où tu semas le blé,
Ton désespoir est vain et ta plainte importune.
Ta sagesse ingénue autrfois à l’assaut
Put pour toi résister sans peur ni défaillance.
Ne fléchis pas. Ne cède pas. Monte au plus haut,
Contemple. L’ombre tombe et l’aube recommence.
Enseigne à ton enfant qu’aux détours du terrain
Éclôront peu de fleurs sur un roncier d’épreuves,
Mais garde que d’un flux de terreurs tu l’abreuves,
Toi qui sortis de tes périls, l’esprit serein.
La halte sous les hêtres, Les éditions nationales, 1934
[1] Initialement publié sous le titre : Mes souvenirs du symbolisme : de Stéphane Mallarmé à Paul Valéry, notes d’un témoin (Paris, éd. La Nouvelle Revue Critique, 1928), le livre a été réédité dans la collection « Archives du Futur » aux éditions Labor en 1991, avec préface et notes d’Anna Soncini Fratta.
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°213 (2022)