Petite musique d’été
Francis DANNEMARK, Les petites voix, Belfond, 2003
Pour commencer Les petites voix, son treizième roman, Francis Dannemark fait place nette, blanchit la page pour que tout soit possible : les citadins quittent la ville comme chaque été ; la narratrice, traductrice de son métier, attend le feu vert pour entamer une nouvelle traduction, elle n’a pas décidé de partir en vacances. C’est alors qu’un magazine lui commande un article sur Paul Grenz, un musicien qu’elle ne connaît pas et qui est peut-être mort. Le roman peut débuter.
Avec la légèreté qui fait son style, qui lui permet de rester à la surface des choses tout en nous aidant à en apercevoir le fond, Francis Dannemark nous raconte donc une double histoire. Celle de l’enquête faite par la narratrice et celle de la vie de Paul Grenz, qui se découvre au fur et à mesure des avancées de l’investigation. Vie composée de zones d’ombre dont aucun des proches ne possède tous les éléments explicatifs. Mais vie pour une grande part consacrée à la musique (après des débuts en littérature) comme compositeur hors catégorie (ni jazz, ni classique, ni variété, un peu de tout ça mêlé), multi-instrumentiste, programmateur de festival… Et même comme propriétaire d’un club, « La boulangerie », qu’il avait ouvert avec sa femme et qui fermera quand le bateau prendra l’eau et qu’une autre femme… Peut-être que ses ambiguïtés se lisent tout entières dans son regard : un œil qui dit la gravité et la distance, l’autre la drôlerie et le charme. En tout cas, la narratrice ne cherchera pas à les réduire, pas plus qu’elle ne donnera de réponses à des questions qui n’en ont aucune (sinon parce que) ou qu’elle ne remplira les silences (si importants pour un musicien). Cette sagesse, probablement qu’elle ne l’aurait pas eue si elle s’était contentée de faire ce qu’on lui avait demandé : un portrait de Paul Grenz à l’occasion de la sortie d’un film américain qui utilise certains de ses morceaux pour sa bande son. Mais elle aurait raté quelque chose, c’est sûr. Heureusement, la chance sera de son côté : l’article lui sera retiré avant même qu’elle ne l’ait rédigé et son enquête (qui n’a plus de but éditorial) peut alors devenir une véritable quête, un travail qui fait du travail intérieur et creuse la place pour un nouvel amour. En plus, elle découvrira la magie de l’écriture (littéraire) qui touche à l’essentiel, essentiel que l’écriture journalistique (fonctionnelle) n’aurait fait qu’effleurer. Si elle ne va pas jusqu’à produire un roman (elle en fera un court : une nouvelle), sa réussite sera totale, cependant, car le musicien enfin rencontré se reconnaîtra dans ses mots. Cette nouvelle qu’a écrite la narratrice, Francis Dannemark, subtil, ne la donne pas à lire. A chacun de se l’inventer avec les éléments glanés au fil de ces Petites voix qui possèdent une petite musique au charme bien personnel.
Michel Zumkir
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°128 (2003)