Sur l’Astre des Délices
Alain DARTEVELLE, Au nom du néant, Murmure des soirs, 2012
Alain Dartevelle, bien connu des amateurs de fantastique et de science-fiction, signe ici son deuxième livre chez la jeune éditrice liégeoise de Murmure des soirs, Françoise Salmon. En l’an 51 de notre ère du Gouffre, sur l’Astre des Délices, la coalition terrestre s’active à conforter ses bases. Le réseau de l’Entraide Intergalactique a déjà permis de télécharger par millions les opuscules à la gloire du pouvoir. Mais la mission de propagande se poursuit. Le narrateur d’Au nom du néant, Omar Wangata, géant débonnaire et épicurien, sillonne l’astre en quête de la chair fraîche des Sylvains, êtres hybrides, aux sabots de cervidés et à l’anatomie en partie végétale. Prédicateur, médecin des âmes et rabatteur, il fait partie d’une légion de très actifs vicaires qui veillent à rassasier l’appétit insatiable du nouveau maître du monde, l’Ogre de la Vie vraie.
Au nom du néant se présente comme une sorte de catéchisme du vide, une histoire illustrée par l’exemple, dont ce missionnaire de la Grande Béance donnerait à lire quelques contes choisis pour l’édification des masses… Les Sylvains sont des êtres qui souffrent, espèrent, se résignent souvent, se révoltent parfois et l’on suit, entre indignation et ravissement, de cruels épisodes de leur colonisation et de leur asservissement à la Grande Béance. Sous le prétexte
d’histoires véridiques du peuple des Sylvains, Dartevelle s’amuse et nous régale de tranches de vie, fables féroces et prosélytes. Dans la description de la relation entre Marjo, la fille-fleur, et Omar, aux convictions aussi complexes que ses fantasmes, il signe quelques pages d’anthologie où fantastique et érotisme se côtoient et qu’un Jacques Sternberg n’eût pas désavouées. C’est drôle, superbement écrit et les gravures décalées du bédéiste Marc Sevrin servent remarquable ment un univers qui évoque tour à tour Swift, Voltaire ou encore le Michaux de la Grande Garabagne. L’idée de ce livre a été inspirée à l’auteur par la lecture des missions en Chine, qui lui ont donné l’envie d’écrire sur les efforts négatifs de vérités imposées ou importées en démontrant que toute religion est une manière de détruire la culture…
Saisis dans leur vie éphémère au fil des observations du prédicateur, les personnages de ces micro-nouvelles, Tchin-tsinatus, le mauvais exemple, Marjo la courtisane, Kif calebasse, Fifina le bébé sylvain, sont tendres et attachants… Au point qu’on referme ce petit livre un peu frustré. Avec l’espoir de retrouver peut-être un jour les Sylvains et leurs oppresseurs dans une véritable épopée, à la mesure de leur tragique destinée.
Martin Colin
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°172 (2012)