Christian Dotremont, à la lumière du « rien » lapon
Guy DOTREMONT, Christian Dotremont. 68°37’ latitude nord, Didier Devillez, 2008
Les ouvrages et manifestations consacrés à Christian Dotremont abondent et constituent autant de voies et de supports différents pour continuer à faire vivre une œuvre dont la vocation résolument expérimentale défie tout figement et tout cloisonnement dans des pratiques définies. Ce nouveau livre sur Dotremont présente une particularité, celle de s’adresser aux Lapons : c’est qu’il s’agit du catalogue bien réel d’une exposition improbable, qui aurait dû se tenir à Ivalo, village de Laponie finlandaise dont les paysages et les habitants séduirent tant Dotremont. Faute de subsides, l’exposition n’a pas pu être montée ; mais grâce à l’infatigable Guy Dotremont, le frère de l’artiste, et à son éditeur Didier Devillez, ce beau livre nous y transporte, pour nous faire revivre l’émerveillement et la pureté de l’expérience poétique vécue par Dotremont en Laponie, ce pays du « rien » qu’il découvre « ébloui, remué jusqu’à revivre, vivre enfin absolument » (Chr.D. cité p. 237), en 1956.
En une quinzaine de chapitres, l’ouvrage retrace les étapes du cheminement de l’écrivain vers et dans le grand Nord et, surtout, il déplie les différentes facettes de l’impact des paysages nordiques sur sa pratique esthétique. C’est là un des intérêts du livre : le regroupement des écrits, des dessins et des photographies ayant trait à la Laponie met en lumière combien cette contrée, que Dotremont voyait comme « une immense papeterie avec quelques signes noirs » (Chr.D., cité p. 109), fut déterminante dans l’invention du logogramme. Un chapitre entier, le plus copieux, propose d’ailleurs le répertoire de la « quasi-totalité des logogrammes inspirés à Christian Dotremont par le spectacle du paysage lapon hivernal » (p. 127) ; on y apprend notamment que si la majorité des logogrammes était tracée en français, d’autres l’ont également été en finnois, en anglais, et même… en néerlandais (pp. 134-142) !
Ce parcours lapon est très richement illustré (en noir et blanc). On regrettera toutefois que la plupart des documents présentés restent muets : les photographies, rarement identifiées, sont attribuées à une liste alphabétique de noms en fin d’ouvrage ; de même les sources des très nombreuses citations, principalement de Dotremont, restent-elles trop vagues pour permettre au lecteur de revenir au texte complet dont elles sont issues. Un autre petit bémol : si le commentaire a le grand mérite de laisser toute sa place à l’écrivain, l’imbrication paraphrastique des citations et une syntaxe qui procède systématiquement par accumulation et incises en rendent parfois la lecture inconfortable.
Il reste qu’à travers ce livre, Guy Dotremont a réussi à faire ressentir l’affection profonde que le poète portait aux contrées reculées du grand Nord et à leurs habitants. Un livre qui donne à voir non seulement l’œuvre de Dotremont, mais également l’intimité géographique de son élaboration.
Geneviève Hauzeur
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°153 (2008)