Un Simenon à reconnaitre

Jean-Louis DUMORTIER, Georges Simenon, un romancier pour aujourd’hui ?, Labor, 2003

dumortier simenon un romancier pour aujourd huiL’essai de Jean-Louis Dumortier centre son propos sur la réception de l’œuvre, qu’il éclaire. Toute commémoration mise à part, Simenon est-il un auteur actuel, un « romancier pour aujourd’hui » ? Spécialiste de la lecture, notamment celle des fictions, l’auteur adapte à l’examen des romans de Simenon des conduites dont il détaille minutieusement le mécanisme. Distinguant le lecteur critique du lecteur profane, il décrit le parcours du récepteur participant, littéralement ravi par le roman simenonien, de celui qui, grâce à la persuasion implicite du romancier, va prendre la distance nécessaire et s’assumer réellement, au fil de sa lecture, coénonciateur du récit. Le problème est de déceler pourquoi et comment le lecteur de Simenon peut toujours se sentir concerné. L’essai répond à ces questions en proposant deux études que rassemble très unitairement une même clé de lecture : la permanence du thème de la reconnaissance. La première, intitulée « Un monde de rejetés », porte sur une quarantaine de romans, dont certains Maigret. La seconde, « En être ou pas », traite en profondeur un seul de ces romans, La boule noire, choisi pour son caractère exemplaire, tant il exhibe un remarquable dispositif stratégique qui consiste à exploiter alternativement le dit et le non-dit de la thématique et qui par là-même se révèle particulièrement incitatif. Cette seconde partie, la plus longue, est aussi la plus convaincante, la première indiquant que souvent d’autres motivations que la seule aspiration à la reconnaissance peuvent intervenir à part égale et expliquer tel comportement d’un personnage. Toutefois, toute une série de références aux auteurs qui permettent de comprendre l’histoire et l’actualité de la reconnaissance tient lieu d’introduction générale aux deux développements, de façon à orienter le constat que « d’innombrables anti-héros simenoniens hurlent silencieusement la même souffrance d’avoir été ignorés ou rejetés par ceux dont ils désiraient des témoignages d’estime ». L’analyse détaillée de La boule noire invite le lecteur à procéder pas à pas et ainsi le révèle à lui-même, obligé qu’il se trouve d’interpréter ce que Simenon ne fait que signaler sans commentaire. C’est ainsi que ce lecteur même non initié va progressivement identifier deux aspects dans le besoin de reconnaissance du protagoniste : le désir de conformité que concurrence le désir de distinction. De là à s’impliquer davantage et à impliquer l’auteur-fauteur de ces troubles, il n’y a plus que le temps d’achever la lecture. Car il s’agit bien en définitive d’expliquer ce phénomène : qu’est-ce qui satisfait l’amateur de romans, à quoi doit-il son plaisir ? À cela l’essai propose plusieurs explications dont la plus étonnante est le pastiche de Simenon qui lui sert de conclusion. Ce paragraphe en dit peut-être plus long sur l’auteur de l’étude que sur son objet.

Jeannine Paque


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°128 (2003)