Vincent Engel, Le mariage de Dominique Hardenne

La vie oubliée

Vincent ENGEL, Le mariage de Dominique Hardenne, JC Lattès, 2010

engel le mariage de dominique hardenneDominique Hardenne est un soldat égaré sur le champ de l’histoire. Il ignore (et nous avec lui) les raisons qui ont provoqué cette guerre absurde et suscité l’apocalypse finale. Il ne sait pas davantage pourquoi il semble être l’unique survivant. Il n’a plus qu’une obsession : rentrer chez lui et retrouver les siens. Il se met en route, protégé par un scaphandre. Le village de son enfance ressemble à une Pompéi des temps postmodernes. S’ébauche alors pour Dominique Hardenne le lent travail de deuil et de mémoire sur sa famille, sur Amédée – ancienne bigote devenue une truculente tenancière de bordel – , sur Nathalie – qui aurait pu l’aimer et à qui il va vouer un culte morbide -, sur tous les autres disparus qui viennent envahir sa solitude de rescapé.

Un survivant (on sait combien cette thématique obsède Vincent Engel, notamment dans Oubliez Adam Weinberger, à ce jour son meilleur roman à nos yeux) confronté à ses démons et qui s’interroge sur le sens que peut garder l’existence après des catastrophes de cette ampleur. Le récit est rondement mené, alternant les époques, celle du compagnonnage avec deux autres survivants en sursis et celle de sa longue marche à travers la campagne ravagée, celle de sa lutte solitaire face à un hiver rigoureux et celle du dialogue muet qu’il entretient avec les morts. L’histoire d’un innocent somme toute, un vrai gentil, voire un simple d’esprit qui le perd complètement, malgré sa volonté farouche de s’accrocher au rythme des saisons.

Voici résumé en quelques mots lapidaires le dernier roman de Vincent Engel, Le mariage de Dominique Hardenne. Les lecteurs qui suivent l’écrivain belge depuis ses débuts auront néanmoins eu la mémoire titillée par ce scénario. Dominique Hardenne ne leur est pas tout à fait inconnu, ni cette aventure intérieure qui le mène aux confins de la folie. Et pour cause, ils ont déjà eu l’occasion de lire ce récit en 1998, sous le titre La vie oubliée. Il avait été coédité par L’Instant même, maison québécoise qui a publié les premiers livres de Vincent Engel, et Quorum, une petite structure du Brabant francophone, qui a fait faillite depuis, signe de la fragilité de l’entreprise éditoriale chez nous. Douze ans ont passé depuis et, nourri de son expérience, l’auteur, s’il a maintenu la structure générale du roman, a néanmoins revu le texte en lui apportant un nouveau rythme et en en dégraissant certains passages. En guise de clin d’œil à l’auteur, terminons en signalant que nous avons été tenté de signer cette recension… Baptiste Morgan  !

Michel Torrekens


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°163 (2010)