Espace Nord a vingt ans !

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Pour commémorer l’événement, la collection Espace Nord s’offre (et nous offre) un numéro spécial, le n°200, Copies collées, symbolique, puisqu’il s’agit d’une anthologie consacrée à ses auteurs, mais aussi festif car celle-ci est exclusivement composée de parodies et de pastiches. Jacques Dubois, le premier directeur de la collection, de 1984 à 2001, et Daniel Blampain, qui exerce aujourd’hui la même fonction, nous ont livré leurs souvenirs et leurs réflexions.

La collection Espace Nord, publiée aux éditions Labor, compte onc vingt ans d’existence et près de 200 volumes : elle occupe quatre mètres sur les rayons d’une bibliothèque.

Au début des années quatre-vingt, quelque cent ans après le sursaut salutaire de La jeune Belgique, la littérature française de Belgique a osé (re)dire son nom et, même en l’assortissant de scepticisme – « Pourquoi pas ? -, revendiquer son appartenance et affirmer sa vitalité. Il fallait dès lors concrétiser ces bonnes intentions par un geste littéraire et politique à la fois. Une collection patrimoniale s’imposait pour remédier à l’amnésie qui avait oblitéré tout un pan de notre histoire. Déjà, l’éditeur Jacques Antoine avait republié certains textes importants des lettres belges, comme les romans d’André Baillon et de Marie Gevers, dans la collection Passé Présent et ses volumes en grand format. Mais pour assurer une diffusion plus large et, à un prix modique, proposer les œuvres sous une forme plus commune, propre à être utilisée largement par un public de chercheurs, d’étudiants ou simplement d’amateurs, il fallait trouver une autre voie où l’entreprise serait plus systématique et scientifique. En choisissant d’éditer ou de rééditer des textes du passé, ignorés ou devenus inaccessibles, dans une présentation soignée, avec un accompagnement critique et en format de poche, Espace Nord allait donner une impulsion décisive à la reconnaissance et à la propagation de notre littérature.

Une formule inédite

Au départ et à l’instigation du comité fondateur, composé de Jacques Dubois, Daniel Blampain, Marc Quaghebeur, Paul Aron, Michel Otten, Paul Emond, Jacques Carion, Jean-Marie Klinkenberg et Dominique Friart, la responsable littéraire des éditions Labor, le choix premier était donc de privilégier les auteurs du passé, les grands, mais aussi les moins ou mal connus. Ainsi, après Simenon, Le bourgmestre de Furnes et Maeterlinck, Pelléas et Mélisande, la littérature prolétarienne accédait à la notoriété avec la réédition de La nuit dans les yeux de Constant Malva, qui suivraient bientôt un volume de théâtre du 20e siècle, Tripes d’or de Fernand Crommelynck, et surtout le texte fondateur de Charles de Coster, La légende d’Ulenspiegel. Tandis que La comtesse des digues de Marie Gevers confirmait son succès, les textes de Paul Nougé allaient enfin toucher un large public.

collectif copies collées

Dès l’abord, il a paru nécessaire d’accompagner les œuvres d’un commentaire explicatif et parfois d’un apparat critique ainsi que d’une iconographie évocatrice. Les premiers volumes comportaient, à charge de deux auteurs distincts, une préface rédigée par un créateur et une postface, la « lecture », véritable étude réalisée par un critique, u cahier de photos ou de reproductions de documents et un ensemble de contextes. Le graphisme original de chaque couverture était dû à Denis Schmit.

Jacques Dubis évoque avec bonheur les réunions animées et souvent joyeuses du comité où ‘on décidait du choix des auteurs, des titres et des commentateurs : le sentiment lui reste d’avoir fait un vrai travail d’édition. Aux grands auteurs, le comité a joint dès le début un certain nombre d’œuvres estimables, opérant ensuite des découvertes ou redécouvertes dont La femme de Gilles de Madeleine Bourdouxhe est sans doute le meilleur exemple. Les plus gros succès dans l’ensemble ont été remportés par les romans de Simenon et de Gevers qui ont atteint des tirages considérables à notre échelle. De Simenon, on sait qu’il avait l’habitude de se réserver exclusivement aux Presses de la Cité, mais il a offert plusieurs titres à Jacques Dubois. Comme il fallait un nom célèbre pour lancer la collection, le premier volume lui a été dévolu et le directeur de la collection en a assuré le commentaire. Peu à peu la collection s’est ouverte à des auteurs contemporains, à des poètes, à des écrivains d’avant-garde. Même si l’optique patrimoniale prévalait, une sorte de pondération s’est installée dans le choix des publications, à raison d’un poète, un texte de théâtre, une œuvre méconnue ou difficile par année, qui figureraient aux côtés des grands textes déjà reconnus.

Dès 1985 et pour quelques années, la collaboration avec Actes Sud, que dirigeait en France Hubert Nyssen, et L’Aire, une maison suisse, a permis que de nombreux Espace Nord glissent dans la collection Babel. Après le retrait de la Suisse, Labor, dans l’impossibilité d’écouler tous les volumes Babel, s’est retiré à son tour, mais Espace Nord a tout de même tiré un profit notable de ce passage, le refaçonnage de sa maquette, par exemple, tandis que la collection belge avait communiqué aux autres partenaires l’intérêt d’un commentaire en fin de volume.

Il faut préciser que si la collection a été et est toujours subventionnée par la Communauté française de Belgique, les commentateurs sont rétribués. Choisis la plupart du temps dans le réservoir naturel des trois universités francophones, parmi les professeurs, assistants ou chercheurs, ils se recrutent aussi parmi les écrivains ou les critiques étrangers s’occupant de littérature belge, mais il est parfois difficile de trouver le spécialiste ad hoc. Hormis quelques problèmes occasionnels avec des éditeurs, des ayants-droit ou parfois des auteurs eux-mêmes, toutes ces années ont permis aux responsables de multiplier les réussites éditoriales tout en leur procurant la constance de tâches agréables à travers les fructueuses séances de travail, les rencontres, la décentralisation et tout le travail d’accompagnement des publications, dans la conjoncture souvent périlleuse de l’inflation de la librairie.

Un tournant

Après le n°100, en 1994, qui présentait une première anthologie (101 auteurs, 480 pages), véritable carte de visite de la collection, Espace Nord, qui avait déjà changé de visage en adoptant pour ses ouvertures la reproduction d’œuvres de plasticiens belges, s’est davantage ouverte aux auteurs contemporains, avec aussi le souci de faire place aux littératures plus populaires ou parallèles. Ce qui permet à Daniel Blampain, le directeur actuel qui a succédé à Jean-Marie Klinkenberg, de noter que désormais une œuvre récente comme Le bonheur dans le crime de Jacqueline Harpman ou tel roman de François Emmanuel atteint sous ce format le même tirage que L’oiseau bleu. Si la formule de la collection a quelque peu changé aujourd’hui, l’enthousiasme demeure parmi ses concepteurs, les anciens et les plus récents. Daniel Blampain qui a vécu l’aventure depuis le début peut en témoigner : pour survivre aussi longtemps, il fallait mettre en jeu de puissantes connivences mais aussi s’attacher à réinventer constamment. Certains collaborateurs comme Paul Emond et Dominique Friart se sont éloignés, d’autres sont arrivés, le comité s’est modifié, a accueilli de jeunes chercheurs et mis en place une nouvelle dynamique. Par exemple, le « directeur », ou plus exactement le coordinateur reçoit désormais un mandat de deux ans. Les réunions plénières ont ceci de particulier qu’elles occupent une journée complète où sont envisagés tous les possibles, en-dehors de toute préoccupation éditoriale. Sans viser les inédits, la collection publie maintenant au moins 40 % d’auteurs vivants et aborde de nouveaux genres. Après l’abandon des préfaces et des contextes, on a resserré le protocole des « lectures » réorientées vers plus de lisibilité, sans pour autant se limiter à un usage scolaire. On y privilégie par exemple le rapport à l’histoire et à la sociologie et on y souligne l’intertextualité avec la collection elle-même. Au n°200, on peut estimer que ces « lectures » constituent un véritable réservoir d’histoire littéraire. La collection qui en avait déjà engendré deux autres – « Un livre une œuvre » en 1985 et « Espace Nord junior » en 1996, devenue ensuite Espace Nord Zone J – s’enrichit aujourd’hui d’un Espace Nord Repères qui sera dévolu à des anthologies thématiques ou aux grands cadres de notre littérature. Deux volumes sont parus, Littératures fantastiques, dus à Éric Lysoe.

Une anthologie de parodies et de pastiches : Copies collées

Pourquoi choisir cette formule pour marquer d’un volume spécifique le vingtième anniversaire de la collection ? Paul Aron, éditeur de l’ouvrage, s’en explique. Ce choix s’inscrit particulièrement bien dans les objectifs du comité actuel (Paul Aron, Jean-Pierre Bertrand, Laurence Brogniez, Daniel Blampain, Frans De Haes, Hugo Martin, Marc Quaghebeur, Michel Otten et Jean-Marie Klinkenberg). Entre le retour réflexif sur le passé et la participation relative à l’actualité, une anthologie de pastiches et de parodies d’auteurs belges est une manière de montrer que notre littérature est vivante, qu’elle suscite un débat, des positions, voire la polémique, parce qu’elle lui permet de s’ébrouer. Le volume se compose de textes inédits que complètent quelques reprises de publications plus anciennes, comme les pastiches de quelques grands, Chavée, Lemonnier, Michaux, Rodenbach, Verhaeren… Pari les auteurs totalement libres de ces textes d’une grande diversité, certains ont pratiqué le pastiche comme un hommage stylistique et se sont coulés dans le moule original de l’écrivain qu’ils visaient, donnant à lire de véritables prouesses d’assimilation, d’autres tout aussi habiles ont forcé le trait et donné dans la caricature parfois féroce, mais toujours dans la bonne humeur. Le rire est salutaire, singulièrement dans ces lieux où l’on oblige souvent au silence et au respect. Bienvenue donc à l’impertinence libertaire de ce nouveau-né de la collection ainsi qu’au plaisir communicatif de l’hommage souriant ou de la franche moquerie ! Et bon vent aux cent prochains volumes !

Jeannine Paque


 

Copies collées, Labor, Espace Nord n°200, 2004. Les écrivains pastichés ont été classés par ordre alphabétique. L’auteur du pastiche figure sous ses initiales et il est repris dans la Table des auteurs en fin de volume, avec si nécessaire les références de l’ouvrage concerné. On peut toutefois regretter que le nom de l’auteur du pastiche ne soit pas cité conjointement à celui de l’auteur pastiché dans la Table générale. À prendre sans doute avec patience et… sourire ? L’ouvrage est offert à tout acheteur de deux volumes de la collection.


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°133 (2004)