Fernand Verhesen (1913-2009)

fernand verhesen

Fernand Verhesen

Avec le décès de Fernand Verhesen, survenu en ce mois d’avril, c’est une des figures les plus éminentes de nos lettres qui disparaît. Eminente, mais discrète : Verhesen n’avait jamais ni suscité ni attiré l’attention des médias. Et pourtant, à l’affût de tout ce qui se produisait – il est resté vigilant jusqu’aux derniers jours, en dépit de la maladie – il a traversé le siècle (il avait 95 ans) en produisant une œuvre considérable tout entière vouée à la littérature – et plus spécifiquement à la poésie et à la traduction – dont l’autorité intellectuelle a rayonné bien au-delà de nos frontières. Qu’on en juge : dans son recueil d’essais Propositions, publié au Cormier en 1994, la liste de ses publications s’étend sur non moins de 30 pages, imprimées serré ! Et il n’en était pas resté là…

Romaniste de formation, Verhesen découvrira, lors d’un séjour à Madrid, un monde qu’il ne cessera plus d’interroger et dont il contribuera à révéler une grande part au public francophone : la culture hispanique et la langue espagnole. D’autant plus que la Guerre civile éclate bientôt… Verhesen traduit alors, non seulement par révolte contre l’injustice, mais aussi par souci de diffuser des œuvres dont l’engagement dans la vie, dans la création, témoigne d’une force essentielle à l’homme – par opposition, bien sûr, aux clichés lénifiants que toute dictature laisse circuler. Il élargira ensuite sa curiosité aux poètes sud-américains dont il deviendra un des plus fins connaisseurs. Octavio Paz ou Roberto Juarroz, pour ne citer que les plus connus, ne jouiraient certainement pas du même prestige auprès des lecteurs francophones si Verhesen ne s’était pas intéressé à eux.

Toutefois, Verhesen ne se contente pas de traduire. En intellectuel curieux, il se penche aussi sur les traditions qui sous-tendent les poèmes, décelant notamment, chez les Sud-Américains, l’importance respective des apports précortésien et espagnol. Et ce travail de passeur irrigue une importante réflexion sur la langue qui, non seulement lui permet d’analyser la poésie française avec une acuité redoublée, mais l’amène aussi à des considérations sur l’homme – dont, en fait, il n’est jamais très éloigné ; c’est, entre les lignes, sa préoccupation majeure – qui, par le biais du langage, dont la poésie dévoile l’expression majeure, se met en jeu et s’implique vis-à-vis de lui-même, avec les autres humains et au sein du cosmos. Les mots sont le fondement naturel de l’existence ; ils méritent attention et rigueur pour que s’ancre la présence au monde et s’ouvre la possibilité des découvertes.

Si Verhesen a fait l’essentiel de sa carrière comme enseignant (on rêve d’avoir été son élève), il faut souligner l’intensité et la multiplicité de ses engagements dans la vie littéraire. Collaborateur actif du Journal des poètes dès avant la Deuxième Guerre, il sera, quelques années plus tard, aux côtés d’Arthur Haulot, une des chevilles ouvrières de ce qui deviendra les Biennales de poésie. Parallèlement, il crée les éditions Le Cormier dont il imprimera lui-même, par plaisir, les premiers livres, sur une presse à bras. Un peu plus tard, soucieux de rester ouvert au monde, il fonde le Centre international d’études poétiques et, dans la foulée, le Courrier de ce Centre, une revue dont on n’a pas fini de mesurer l’importance ni de prendre l’ampleur des échanges qu’elle suscita. Verhesen était membre de l’Académie.

Tout ceci éclipse quelque peu son œuvre poétique (il écrivait : « Au défaut surgissent l’intime et la source. »), une œuvre féconde, exigeante mais limpide, qui marque durablement ceux qui l’ont fréquentée. Fernand Verhesen y porte l’humain vers la clarté ; pour lui, chaque poème se déploie comme une connaissance naturelle de soi et du monde : que l’homme cherche et consente, il trouvera une forme d’accord. Dans la vie comme dans la poésie, il avait choisi l’immanence, de sorte que chaque instant soit un moment inaugural.

Jack Keguenne


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°157 (2009)