Le Fonds Simenon a élu domicile dans le cadre prestigieux du château de Colonster, qui domine la vallée de l’Ourthe, tout près de Tilff. Le Fonds dispose de deux pièces au premier étage de l’aile droite du château. La première, qui contient les collections, sert à la fois de bibliothèque, de salle de lecture pour les chercheurs et les étudiants et de bureau pour le conservateur. Ses fenêtres donnent sur le parc du château. Les deux murs perpendiculaires aux fenêtres sont tapissés de livres de haut en bas : l’un regroupe les œuvres en français et les articles dans toutes les langues et l’autre les innombrables traductions.
Un lieu consacré au travail
La deuxième pièce regroupe du mobilier et des objets ayant appartenu à Georges Simenon. Depuis quelques mois, elle est vide, le mobilier ayant été prêté pour une exposition qui a eu lieu en Vendée jusqu’à la fin février 2012. En temps normal, on y découvre le bureau du romancier, le singe en ébène Tiki, sa machine à écrire, deux vitrines exposant des documents, alors qu’aux murs sont accrochés des portraits peints de Simenon et des photographies[1].
Depuis 2006, c’est Laurent Demoulin, assistant en philologie romane et spécialiste de la poésie, qui occupe le poste à mi-temps. Le Fonds est présidé par Danielle Bajomée, professeure émérite à l’ULg et dirigé par Benoît Denis.
« Le Fonds n’est ni une bibliothèque, ni un musée, indique d’emblée Laurent Demoulin. Le désir même de Simenon, formulé dans l’acte de donation, était que le Fonds soit un lieu de travail, réservé aux chercheurs et aux étudiants. Simenon ne voulait pas que ce soit un lieu public, ni commercial. Le Fonds est très à l’étroit dans ses locaux actuels, étant donné la richesse des collections et le fait qu’elles s’accroissent sans cesse par l’afflux des rééditions et des traductions, dont Simenon a formellement prévu qu’elles viennent compléter les collections. Mais heureusement, la ville de Liège et le fils de l’écrivain, John Simenon, travaillent sur un projet ambitieux de musée Simenon à Liège, dans lequel le Fonds devrait trouver à terme un espace à sa mesure. »
En dehors des étudiants et des chercheurs belges et de certains habitués comme le « simenologue » liégeois Michel Lemoine, les demandes pour venir consulter les archives du Fonds arrivent du monde entier : USA, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Tunisie. En moyenne, le Fonds reçoit chaque semaine un nouveau chercheur.
La naissance du fonds Simenon
L’année 1973 est décisive dans la naissance du Fonds. Atteignant l’âge de septante ans, Simenon décide d’arrêter d’écrire des romans. « L’homme, qui a publié 192 romans signés de son nom (dont 75 Maigret), 12 recueils de nouvelles, un bon millier d’articles de toute espèce, près de 200 romans populaires publiés sous pseudonyme (romans
sentimentaux, humoristiques, coquins, policiers ou d’aventures) et une trentaine de reportages, délaisse alors la machine à écrire au profit du magnétophone et entreprend la série des Dictées. »[2] Cette même année, Maurice Piron et Jacques Dubois, enseignants en philologie romane à l’Université de Liège, décident de célébrer cet anniversaire en consacrant plus de cent heures de cours au romancier liégeois, qui a par ailleurs été proclamé docteur honoris causa par l’Alma Mater. Ces hommages touchent Georges Simenon qui noue une relation amicale avec Maurice Piron, avec lequel il entretient une correspondance, avant de décider, le 8 juin 1976, de léguer ses précieuses archives à l’université de sa ville natale[3].
Les collections
Inauguré fin 1977, le Fonds Simenon comprend donc deux types de collections : d’une part, les archives léguées par l’écrivain à l’ULg et de l’autre ce qui correspond à l’actualité, c’est-à-dire les nouveautés éditoriales, en français et en traductions, ainsi que les articles de presse et la production universitaire ou critique.
Que trouve-t-on dans la salle des archives ? « D’abord, bien entendu, l’œuvre complète sous toutes ses formes, précise Laurent Demoulin : des éditions originales aux rééditions les plus récentes, en français et dans de nombreuses langues, des romans populaires publiés sous pseudonymes aux Maigret et des “romans durs” aux Dictées. »[4] À côté de cela, il y a les manuscrits originaux, les articles parus dans La Gazette de Liège, les contes galants parus en revues à Paris, les reportages pour des hebdomadaires français, ainsi qu’une vaste correspondance, avec des célébrités telles qu’André Gide, François Mauriac, Colette, Charlie Chaplin, etc. Les ouvrages critiques sont aussi représentés, tout comme les mémoires et thèses universitaires, les articles scientifiques (en plusieurs langues). On accède également à beaucoup de photos : à côté de treize albums familiaux, on ne dénombre pas moins de 2800 clichés pris par l’écrivain durant ses nombreux voyages.
Parmi les pièces qui intéressent particulièrement les chercheurs figurent des documents autographes qui permettent d’étudier la genèse de l’œuvre. Ainsi, les fameuses « enveloppes jaunes » sur lesquelles l’écrivain notait rituellement un certain nombre d’indications concernant les personnages du roman à venir ou les calendriers, invariablement édités par des compagnies aériennes, où Simenon cochait les jours d’écriture, puis de révision de ses romans.
Ce que conserver veut dire
Bref, il ne fait pas de doute qu’en léguant ses archives à l’Université de Liège, Simenon a ouvert des portes considérables à la recherche, bien au-delà des limites de la Cité ardente. Cependant, pour garder longtemps leur intérêt
historique, les collections doivent en priorité être maintenues en bon état. C’est le rôle premier du conservateur.
« Depuis septembre 2007, le Fonds Simenon s’est lancé dans une campagne d’amélioration de la conservation des trésors en papier qui lui ont été confiés, précise Laurent Demoulin. Cette campagne concerne trois types de documents : les fameuses enveloppes jaunes, les plus anciennes éditions des romans de Simenon et les articles de
presse consacrés à notre écrivain. »[5] Les deux premières étapes sont aujourd’hui achevées. Avec le soutien technique de premier ordre d’un ancien restaurateur de livres de la bibliothèque générale de l’université, M. Armand Danze, les enveloppes jaunes et les calendriers ont été placés dans des étuis transparents anti-acides et rassemblés dans des boîtes en carton, tandis que les romans les plus anciens, au papier très fragile, sont abrités de l’air et de la lumière dans des boîtes cartonnées sur mesure. La conservation des coupures de presse représente un indispensable travail de bénédictin : il s’agit de les décoller de leur support original, puis de les coller légèrement sur papier avec une colle spéciale, avant de les glisser dans des fardes en polyester non acide[6].
Le conservateur remplit évidemment d’autres rôles : accueillir les chercheurs et les guider dans les collections, faire encoder les nouvelles sorties (rééditions et traductions), exercer une veille par rapport à la parution d’ouvrages critiques, d’articles de presse, mais aussi envers les adaptations cinématographiques et télévisuelles, ainsi que la sortie de DVD, s’associer à la recherche scientifique sur Simenon, collaborer à l’organisation d’expositions, s’occuper de la diffusion de la revue Traces, qui compte à ce jour dix-neuf volumes.
Tout cela représente un travail considérable, abattu par un personnel limité en nombre, mais tout entier au service des chercheurs et des étudiants venus de partout pour étudier l’œuvre du plus célèbre des Liégeois.
René Begon
[1] Laurent DEMOULIN, « Quand le père de Maigret est mis à l’étude », ronéoté, pages 1-2. Nous nous référerons souvent à cet article à la fois complet et précis sur le Fonds.
[2] Ibid., p. 1.
[3] Ibid.
[4] Ibid., p. 2.
[5] Laurent DEMOULIN, « Brèves nouvelles du Fonds Simenon », dans Traces (revue du Fonds Simenon), n° 15, p. 1.
[6] Laurent DEMOULIN, « Quand le père de Maigret est mis à l’étude », p. 1.
Article paru dans Le Carnet n°171 (2012)