Autour d’une résidence

Francis Dannemark

Arras, à 50 kilomètres au sud-ouest de Lille, à 80 kilomètres de la Manche, est une ville de plaine dont le nom évoque pour les uns des places superbes aux maisons claires, pour les autres des tapisseries qui ont fait le tour du monde. D’autres encore penseront à deux trouvères célèbres, Jean Bodel et Adam de la Halle. Arras, c’est aussi un des pôles de la jeune Université d’Artois, et c’est là que je passe deux jours chaque semaine.

Tout a commencé en 1994 quand l’Université d’Artois et la Direction régionale des Affaires culturelles du Nord-Pas-de-Calais ont désiré mettre en place une résidence d’écrivain sur le site arrageois de l’Université. Il s’agissait là d’une première : en effet, les résidences en milieu universitaire concernaient jusque-là des artistes appartenant à diverses disciplines mais pas des écrivains.

Autre originalité du projet : je ne viendrais pas à Arras pour y écrire mais pour travailler avec des étudiants, pour leur proposer de découvrir de l’intérieur la création littéraire et pour leur faire connaitre des œuvres d’auteurs francophones contemporains.

J’ai donc créé des ateliers d’écriture et animé des rencontres littéraires sur le site de l’Université. Enfin, j’ai élaboré le projet d’une grande soirée de lectures qui permettrait d’entendre et de rencontrer une dizaine d’écrivains, à savoir Jean-Marc Aubert, Hervé Le Tellier et Hélène Merlin pour la France, et William Cliff, Xavier Deutsch, Guy Goffette, Thomas Gunzig, Amélie Nothomb, Jean-Claude Pirotte, Etienne Reunis, Jean-Pierre Verheggen et moi-même pour la Belgique. Après lectures et discussions, chacun des étudiants avec lesquels je travaille a choisi un auteur dont il est devenu le « poisson-pilote » ou le « parrain ». Et, peu à peu, le projet a pris forme. Pour le mener à bien, plusieurs partenaires se sont associés à l’Université d’Artois et à la DRAC : l’Échevinat de la culture d’Anderlecht et le Centre culturel de la même commune, ainsi que le Théâtre d’Arras. Un nom : les NUITS DES LETTRES. Des lieux : le Théâtre d’Arras, le 16 mars, et la Bibliothèque d’Anderlecht, le 12 mai.

Un des intérêts du projet, c’est qu’il produit des mouvements : il s’agit de faire entrer des œuvres d’aujourd’hui à l’université et de faire entrer l’université dans la ville ; d’emmener étudiants et écrivains en des lieux nouveaux ; de franchir des frontières et de mélanger des publics.

Par ailleurs, si les rencontres littéraires ont leur magie, quelles traces peuvent-elles laisser ?

J’ai eu envie de demander aux écrivains et aux étudiants de composer, sur un thème imposé, un texte qu’ils viendraient lire sur scène et, pour garder mémoire des textes et des voix, j’a ajouté au projet l’édition d’une plaquette (où l’on trouvera aussi des portraits imaginaires des écrivains vus par les étudiants) et d’une cassette qui restituera, grâce à Christine Van Acker, le portrait de l’événement.

Devant l’ampleur de la tâche, j’avoue que je me suis demandé l’une ou l’autre fois si je n’aurais pas été mieux inspiré en allant paisiblement m’installer avec ma machine à écrire dans une ancienne abbaye ou dans une bibliothèque. Mais l’enthousiasme suscité par le projet m’a rendu ma bonne humeur et je suis enchanté de constater qu’une entreprise à vocation littéraire a pu dépasser son cadre et créer des réseaux de communication entre des villes, des groupes sociaux, des individus. L’époque qui est la nôtre invite trop souvent à des replis stratégiques qui ont des allures de défaite ; or je ne voulais pas que la littérature soit l’occasion d’un nouvel enfermement ou d’une nouvelle fuite, fût-elle élégante. Les NUITS DES LETTRES, pour moi, c’était, c’est toujours le pari d’une certaine qualité : qualité des écrivains, qualité de la vie à laquelle nous invite la littérature. Moments forts de ma résidence à l’Université d’Artois, ce sont elles qui lui donnent son sens.

Francis Dannemark


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°87 (1995)