Georges Simenon : il n’y en aura que pour lui

georges Simenon

Georges Simenon

Rarement anniversaire culturel aura suscité un tel déploiement d’énergie. Expositions, spectacles, publications en tous genres, concours, colloque, circuits touristiques… Si l’on veut avoir quelque chance de faire parler de soi, à Liège, en 2003, on aura tout intérêt à s’appeler Simenon.

On pourrait s’amuser du zèle que certains responsables politiques, en cette année électorale, mettent à s’occuper de littérature, dans une province où les écrivains ne sont pas habitués à autant d’égards de la part des autorités. On pourrait dénoncer l’instrumentalisation croissante de la culture par le commerce et le tourisme. Peut-être le génial romancier lui-même, en tirant sur sa pipe, exprimerait-il, sur son nuage de fumée, une réflexion désabusée sur la comédie à laquelle se livrent les humains une fois qu’ils se rhabillent. Bah ! Tout cela est sans doute justifié. Nul ne pourra nier, cependant, que les organisateurs du programme « Wallonie 2003. Année Simenon au Pays de Liège » ont vu les choses en grand et que, dans le foisonnement d’activités qu’ils proposent, il y en aura pour tous les goûts. Sans oublier que les manifestations d’hommage au père de Maigret ne se dérouleront pas qu’à Liège, même si sa ville natale en constituera l’épicentre.

Il faut dire que c’est à Liège, et plus précisément au château de Colonster, à l’orée du campus universitaire du Sart-Tilman, que se trouve la plus extraordinaire source d’informations qu’on puisse trouver : le Fonds Simenon, constitué de toutes les archives littéraires léguées par le romancier en 1976, suite aux contacts qu’avait établis le professeur Maurice Piron. Danielle Bajomée, directrice du Centre associé à ce Fonds, le décrit en ces termes : « Il réunit des documents aussi nombreux que variés qui en font à la fois une bibliothèque, un fonds d’archive et un musée. On y trouve 80 manuscrits correspondant à la production romanesque des années 1940 à 1972, les cassettes et dactyls des ‘dictées’, l’exemplaire nominatif des 72 volumes des Œuvres complètes publiées par les éditions Rencontre, les différentes éditions en français et en langues étrangères des romans signés Georges Simenon, les contributions à la Gazette de Liège entre 1919 et 1922, les romans populaires et les contes publiés sous 17 pseudonymes […] entre 1921 et 1937, les reportages et interviews réalisés entre 1931 et 1946 ». Cette énumération n’est pas complète puisqu’il faut y ajouter notamment la correspondance d’écrivains et d’amis célèbres (Gide, Cocteau, Pagnol, Miller, Fellini, Renoir…), de nombreux documents audiovisuels, des portraits de Simenon par Vlaminck, Buffet et Cocteau et même une collection de pipes.

Expositions

Quelques-unes de ces pièces se retrouveront dans la vaste exposition « Simenon… un siècle » qui sera inaugurée le 13 février prochain, jour anniversaire de la naissance de l’auteur, en plein cœur de la ville. Peu d’informations ont filtré jusqu’à présent sur cette manifestation. On la présente comme « un nouveau regard sur Simenon et ses pairs dans des décors en trois dimensions ». Puisqu’elle est placée sous la direction artistique de Jeannot Kupper, conception de « Je n’aime pas la culture », on peut gager qu’il s’agira d’un événement spectaculaire, propre à  séduire un très large public.

D’autres expositions débuteront un peu plus tard. À partir du 8 mars et jusqu’au 21 ? dans l’ancienne garde de Chaudfontaine, Esplanade du Casino, on pourra découvrir « Simenon et l’image » réalisée par Jean-Marie Graitson à partir des documents disponibles au Centre des Paralittératures et du Cinéma qu’il dirige à Chaudfontaine. Il s’agit d’un ensemble de documents originaux relatifs aux adaptations de l’œuvre de Simenon au cinéma ou en bande dessinée. On y découvrira aussi les nombreuses illustrations qui ont accompagné la publication de ses nouvelles et récits dans différents journaux.

Du 13 mars au 15 juillet, la Maison de la Presse de Liège-Luxembourg proposera une exposition sur « Simenon journaliste ». A cette occasion aura lieu, le 12 mars à 20 heures, une conférence-débat sur l’évolution du fait divers dans la presse liégeoise et francophone (19, rue Haute-Sauvenière 4000 Liège). Enfin, à partir de mai, la galerie photographique du cinéma Le Churchill nous invitera à partir « Sur les rivières et les canaux de France avec Simenon ».

Théâtre

Le plus étonnant, dans cette année commémorative, est sans doute le grand nombre de spectacles que l’œuvre et le personnage de Simenon susciteront, alors que lui-même fut, somme toute, peu mêlé au théâtre. Selon les organisateurs, l’un des clous du programme d’anniversaire sera la création, en septembre, par l’Opéra royal de Wallonie, de Simenon et Joséphine, « comédie musicale avec l’ambiance du Paris des années folles » qui évoquera la rencontre de l’écrivain à succès avec Joséphine Baker. Auparavant, le public aura eu l’occasion de découvrir plusieurs adaptations théâtrales des romans de Simenon, en français comme en wallon. Ainsi, les 15 et 16 février, le Pavillon de Flore (20, rue Surlet, 4020 Liège) proposera Li pindou d’Sint-Foyin (Le pendu de Saint-Pholien en wallon). Au Trocadéro (6a rue Lullay, 4000 Liège), du 18 au 22 mars, les Comédiens associés joueront l’adaptation par Alain François du roman Le fond de la bouteille. Marcel Kervan a quant à lui adapté Maigret tend un piège. Sa pièce sera montée au Théâtre Proscenium (28, rue Souverain-Pont) du 21 mars au 10 mai. Les mémoires de Maigret ont été transposés à la scène par John Erler. Cette adaptation sera présentée au Théâtre de l’Étuve (12, rue de l’Étuve) du 26 mars au 12 avril puis, en juillet, au Festival Vacances-Théâtre de Stavelot. Claude Lombard a fait de Trois chambres à Manhattan un opéra… de chambre. Il sera monté au Petit Théâtre de l’Opéra (4, rue de la Casquette, 4000 Liège) du 14 au 21 février. Signalons encore la création, le 29 mars, de Simenon, fils de Liège, pièce inédite de Jacques Henrard. Pour en terminer avec le chapitre du théâtre, il faut parler aussi d’un concours lancé par la Députation permanente du Conseil provincial de Liège ouvert à tous les habitants de la Francophonie ? Il s’agit pour les candidats de réaliser une adaptation théâtrale d’une durée d’une heure environ à partir d’un des romans de Simenon. Les manuscrits (7 exemplaires) doivent parvenir au Service Culture de la Province de Liège, Département de l’Éducation permanente (15, rue des Croisiers, 4000 Liège) avant le 1er juin 2003. L’auteur du texte primé empochera 2500 euros.

De l’université à la librairie

L’Université de Liège est un partenaire important de l’ensemble de ce programme, en particulier à travers l’action du Centre Simenon. Danielle Bajomée, sa directrice, organise du 19 au 22 février un colloque international « Simenon et son siècle », réunissant les meilleurs spécialistes de l’auteur, de grands historiens de la littérature ainsi que des écrivains. « Si Simenon a renoncé à la pratique d’un réalisme social et historique aux ambitions totalisantes, écrit-elle à ce propos, cela ne signifie pas que son œuvre échappe à l’Histoire ou qu’elle refuse de la mettre en scène et en question. On pourrait même postuler que, dans son ampleur et sa diversité, elle constitue une somme romanesque sur le XXe siècle, dans laquelle se donne à lire et à penser, de façon peut-être latérale et allusive à certains moments, l’Histoire d’une période que le romancier a traversée de part en part ». Danielle Bajomée publiera par ailleurs à la Renaissance du livre une étude sur Georges Simenon. Chez le même éditeur paraitra un numéro spécial de la revue Traces autour du récit autobiographique Pedigree. Jacques Dubois, quant à lui président du Centre Simenon, est associé pour sa part à une entreprise prestigieuse, puisque en collaboration avec Benoit Denis, il a réalisé le choix et l’édition critique des romans qui seront rassemblés par Gallimard dans deux volumes de la collection La Pléiade. Sortie en librairie : le 6 mai.

Il faudra que nous présentions encore beaucoup d’autres livres. Tous les titres publiés à Liège par les éditions du CEFAL : Les chemins belges de Simenon (par Michel Carly et Michel Lemoine), Dans les pas de Georges Simenon, de la place Saint-Lambert à Outre-Meuse (Michel Lemoine, Jean-Denis Boussart et Wendy Nève), Lumières sur le Simenon de l’aube (Michel Lemoine), Dix nouvelles de Georges Simenon (réunies et commentées par Alain Bertrand)… Et tous les autres. Chez Luc Pire, Les scoops de Simenon, Georges Simenon à la Gazette de Liège. Aux éditions de l’Octogone, Sur les pas de Simenon, par notre collègue Christian Libens. Chez Complexe, l’album Georges Simenon, l’homme l’univers, la création ou une étude de J.-Ch. Lemaire sur Simenon, jeune journaliste. Un « anarchiste » conformiste. Et le livre d’Anne Richter ? Et ceux de Baronian ou de Michel Carly ? Et ceux qu’aujourd’hui nous oublions ? Nous en reparlerons.

Carmelo Virone


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°126 (2003)