Christopher Gérard, Vogelsang ou la mélancolie du vampire

Un vampire mélomane

Christophe GÉRARD, Vogelsang ou la mélancolie du vampire, L’âge d’homme, coll. « La petite Belgique », 2012

gerard vogelsang ou la melancolie du vampirePour aborder le domaine fantastique, Christopher Gérard a choisi la difficulté. Il a jeté son dévolu sur un personnage classique, déjà abondamment exploité par les auteurs les plus divers : il s’agit du vampire. Comment, avec un tel sujet, échapper aux poncifs et aux réminiscences ? Notre romancier par ailleurs brillant va-t-il nous faire regretter son audace ou son inconscience ? Il suffit de faire la connaissance de Laszlo Vogelsang, dans le premier chapitre de son dernier roman, Vogelsang ou la mélancolie du vampire, pour comprendre aussitôt que Christopher Gérard a réussi une gageure.

L’ouvrage se présente comme un diptyque qui correspond aux deux visages d’un personnage ambigu : première partie, intitulée « Thanatos », la face sombre de Vogelsang, tueur en quête de proies. Deuxième partie, « Eros » : le héros devenu lui-même victime de la passion. Dès le début de son histoire, Christopher Gérard dédramatise la littérature vampirique, en l’actualisant à l’extrême : il parvient de la sorte à renouveler un genre littéraire usé jusqu’à la corde. Laissant courir à sa guise une imagination subversive, l’auteur poursuit avec ironie et élégance un récit ludique qui se déploie dans un décor étonnant : le modernisme high-tech de la résidence bruxelloise du vampire fait en effet penser davantage aux hôtels de luxe de James Bond, plutôt qu’au sombre repaire montagnard de l’illustre ancêtre Dracula. Cependant, nous n’en restons pas là : dans la seconde partie, le ton change, se fait plus intime, plus confidentiel, plus étrange.

Et nous voilà engagés dans une autre aventure, dans un roman d’introspection qui nous réserve encore des surprises. Dans un crescendo dramatique et lyrique soutenu, l’auteur poursuit la quête intérieure de son héros. Et c’est ici que prend tout son sens le thème de la musique, omniprésent dans le livre ; la musique révélant le sens occulte de cette histoire à double fond, dévoilant au lecteur les aspirations secrètes et l’identité cachée de ce vampire extraordinaire. Car Laszlo le délicat aime Bach et Scarlatti par-dessus tout, il les chante pour lui à ses moments perdus, il les joue au piano à peu près tous les soirs, dans la solitude de sa demeure, le piano l’aidant « à voguer sur les flots du temps qui tout dévore »

Et c’est ainsi qu’opère peu à peu le pouvoir cathartique de l’art, cette musique merveilleuse donnant à une aventure aux débuts sanglants une dimension poétique et intemporelle. Laszlo est littéralement transformé par le piano, « qui lui fait découvrir l’humanité ». Il arrive en effet un moment où le Docteur Vogelsang n’a plus soif de sang, mais bien de compassion et de tendresse : le lecteur apprend, dans le dernier épisode, que le vampire mélomane est passionnément épris d’une femme et qu’il est, en outre, fils d’un homme. D’où sa sensibilité esthétique, sa vulnérabilité et sa mystérieuse nostalgie. Ce roman fort réussi qui commence comme un divertissement brillant se termine comme un roman initiatique, dans la tradition romantique du héros ténébreux à la recherche de lui-même.

Anne Richter


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°172 (2012)