Le cercle vicieux d’une minable petite vie
Thomas GUNZIG, Et avec sa queue, il frappe !, Au diable vauvert, 2014
Un lundi matin, un père divorcé et son fils arrivent devant la grille de l’école. Quelque chose chiffonne l’enfant. Un camarade de classe le pousse et l’insulte sans arrêt. Cette confidence rappelle au père tout un pan de son histoire personnelle. Lui aussi, il a souffert du regard des autres. Dans la famille, c’est génétique : la peur vous colle à la peau ! Difficile aussi de s’affirmer avec des parents craintifs comme un couple d’oiseaux qui n’osent pas sortir la tête du nid, un frère mort étouffé dans son pull, un unique copain de classe bizarre, puant et collant comme du chewing-gum. Une jeunesse solitaire et déprimante s’offrait à lui. Toutefois, quelque chose a sauvé cet adolescent prépubère : les films ! La Fureur du dragon, Karaté Kid, Massacre à la tronçonneuse, Halloween… Tout ce sang, ces crimes abominables, ces combats, ces viols et ces femmes dénudées lui ont permis de découvrir les coordonnées de la vie, de grandir tout simplement. Aidé par la puissance du regard concentré de Bruce Lee, il apprendra à ne plus avoir peur. Même l’inaccessible Katia N’Guyen Courvoisier en devint abordable. Le petit dragon deviendra grand et avec sa queue, il frappe !
Thomas Gunzig s’inspire de sa propre découverte des films de séries B. Ce monologue, drôle et touchant, d’une écriture imagée et grinçante, en devient jubilatoire pour les amateurs de cinéma de genre. On rit beaucoup, même si ce rire cache une certaine pitié. Par ses côtés fragiles et insolites, le personnage mis en scène, qui transpire la nullité, reste attachant. Thomas Gunzig retrace, tout en détails et digressions, le parcours d’un jeune apprenti de la vie. Une pièce à lire et à voir. Créée au Théâtre Les Tanneurs en février 2014, elle est interprétée magistralement par Alexandre Trocki, dans une mise en scène de David Strosberg.
Émilie Gäbele
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°183 (2014)