Histoire littéraire des fous (1860) d’Octave Delepierre

joseph octave delepierre

Joseph Octave Delepierre

Certains livres n’ont pas la chance de passer à la postérité. Relégués en notes de bas de page, méconnus, presque oubliés, certains d’entre eux méritent pourtant de figurer en meilleure place dans l’index des œuvres citées. Une chronique pour redécouvrir quelques-uns de ces ouvrages perdus de vue…

Le nom d’Octave Delepierre ne dit sans doute plus grand chose à personne. Ce qui n’arrange rien à cette occultation, sa date de naissance varie d’une source à l’autre même s’il naît plus que probablement en 1802 à Bruges. Malgré une scolarité médiocre, il décroche son diplôme d’avocat de l’Université de Gand. Mais d’autres domaines l’attirent, en particulier l’histoire et la littérature. Très vite, il collabore à divers journaux locaux avant d’être nommé en 1837 archiviste de la province de Flandre occidentale. Cette fonction va révéler en lui une passion pour le patrimoine et les traditions flamandes qui l’amènera à publier de nombreux ouvrages inventoriant les richesses de l’histoire de Flandre. Un an plus tard, on le retrouve bibliothécaire de la ville de Bruges. Bibliophile et collectionneur, il est avide d’autres horizons, d’autres champs de recherche mais également d’une reconnaissance qu’il ne trouve peut-être pas dans sa ville natale.

En 1843, il s’établit à Londres où il devient secrétaire à la légation de Belgique ce qui lui ouvre les portes d’une carrière diplomatique qu’il poursuivra jusqu’en 1877, deux ans avant sa mort. Ces fonctions lui permettent naturellement de côtoyer les notables de la City et d’intégrer diverses sociétés savantes comme la Philobiblion Society dont il devient un des secrétaires. Parallèlement à ses activités consulaires, il poursuit une œuvre de compilateur et de traducteur (il traduit en français l’ouvrage de Crowe et Cavalcaselle, Lives And Works Of The Old Flemish Painters). Une méticulosité associée à une rigueur dans le travail le font remarquer des grands bibliographes et mécènes de l’époque. Sir Edward Lytton Bulwer, Alexandre Dumas, Jules Michelet, le collectionneur d’art Collin de Plancy correspondent avec lui ou le rencontrent lors de leur passage à Londres. Le célèbre éditeur français Gustave Brunet avec qui il collabora d’ailleurs sous le pseudonyme collectif des « frères Gébédoé »[1], dira de Delepierre qu’il est « un des philologues les plus laborieux [du] temps, chez qui un jugement exquis se joint à une instruction aussi solide qu’étendue. »

C’est donc dans cette lignée d’érudition curieuse et passionnée qu’il convient d’épingler la publication en 1860 de son Histoire littéraire des fous par l’éditeur et linguiste londonien Trübner qui n’est autre que son gendre et avec qui il travaillera régulièrement. Ce dernier poursuivra d’ailleurs ses activités d’édition spécialisées dans l’histoire du livre jusqu’à sa mort en 1884, avec entre autres des ouvrages comme celui du célèbre bibliophile anglais William Blades, The Enemies Of Books (1880).

Cette Histoire littéraire des fous s’inscrit dans le prolongement des recherches initiées par Charles Nodier, comme en témoigne la citation en exergue tirée des Mélanges d’une petite bibliothèque  : « J’ose dire que s’il y a encore un livre curieux à faire au monde en Bibliographie, c’est la bibliographie des fous, et que s’il y a une bibliothèque piquante, curieuse et instructive à composer, c’est celle de leurs ouvrages. »

De fait, l’ouvrage de Delepierre, outre ses qualités littéraires, est devenu, pour les « initiés », un des jalons incontournables de cette histoire des écrits d’excentriques qui a commencé en France avec le bibliothécaire de l’Arsenal, Charles Nodier. Une histoire qui s’est perpétuée au fil des 19e et 20e siècles, en passant par Monselet, Brunet, Quérard, Queneau pour aboutir au dictionnaire que publia, en 1982, un autre bibliothécaire belge, André Blavier, Les fous littéraires, illustré par Roland Topor. Somme littéraire indépassable, fruit d’un travail de bénédictin, qui fut rééditée dans une version augmentée en 2000 aux éditions des Cendres. Preuve que les écrits de la folie continuent de nous illuminer ! Une histoire à suivre, à poursuivre donc…

Rony Demaeseneer

Extrait :

« Durant le cours de nos recherches, pour rassembler les matériaux de cette esquisse, notre attention a été particulièrement attirée par une méthode curative, que nous croyons peu en usage sur le continent, et qui mériterait de faire l’objet d’une étude spéciale. Dans plusieurs des grands établissements pour les aliénés, qui existent dans le Royaume de la Grande-Bretagne, l’encouragement régulièrement donné à la composition littéraire, a eu les plus heureux résultats. Nous dirons en passant quelques mots sur deux ou trois de ces asiles consacrés à la guérison des maladies mentales. […] L’encouragement à la composition littéraire y forme, comme dans les établissements cités plus haut, un moyen de guérison, et les médecins de la maison pensent que c’est un des remèdes qui ont produit les résultats les plus satisfaisants. En conséquence, l’administration a établi un bazar où les diverses pièces, écrites par les lunatiques, sont exposées et vendues à leur profit. Grand nombre de personnes se font un devoir d’aller visiter ces expositions de publications de fantaisie, tirées sur papier rose, vert, orné d’arabesques, etc. et le produit des ventes est parfois assez considérable. » 

Bibliographie succincte :

    • Chroniques, traditions et légendes de l’ancienne histoire des Flamands (1834)
    • Aperçu historique et raisonné des découvertes, inventions et perfectionnements en Belgique depuis les Romains (1836)
    • L’Enfer, essai philosophique et historique sur les légendes de la vie future (1876)


[1] C’est sous ce pseudonyme qu’ils feront paraître à Londres l’ouvrage Bibliothèque bibliophilo-facétieuse entre 1852 et 1856.


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°212 (2022)