In memoriam Adamek 1946-2011

Adamek

Adamek

André-Marcel, un double prénom que personne ne prononçait en sa présence, même pas sa « tant douce Ingrid », la compagne de toute sa vie, car tout le monde l’appelait Adamek ! Adamek, un beau nom doublement viril qu’il s’était choisi dès son premier roman et dont les trois syllabes signent tant de livres inoubliables…

Comment évoquer un écrivain au lendemain de sa mort lorsqu’on est de ses amis ? Bien sûr, on se garderait de trop céder à l’émotion en rappelant sobrement les titres de ses œuvres, mais une liste bibliographique n’est au mieux qu’un pense-bête chronologique. Et en choisissant d’évoquer les principaux prix littéraires qu’Adamek a reçu (le Rossel 1974 pour Le fusil à pétales ; le Prix triennal du Roman 1997 pour L’oiseau des morts ; le Prix du Parlement 2000 pour Le plus grand sous-marin du monde ; le Marcel Thiry 2004 et le Prix des Lycéens 2005 pour La grande nuit), on passerait injustement sous silence d’autres chefs-d’œuvre comme Le maître des jardins noirs ou La fête interdite.

Né en 1946 à Gourdinne, un village de l’Entre-Sambre-et-Meuse, dans une famille modeste et désunie, Adamek est tôt confronté à « la nécessité de [s]e débrouiller seul ». Ainsi brossait-il ces quelques traits biographiques pour un article paru en 2007 dans L’école des Belges (Le Castor astral) :  « Premiers poèmes. Envie folle de rencontrer Jean Giono. Départ pour Manosque à seize ans. […] Un boulot de steward sur la malle Ostende-Douvres, un autre comme dresseur de chien. J’ouvre ensuite une imprimerie. Mes premières nouvelles paraissent dans La Dernière Heure, mais je comprends vite qu’il sera difficile de vivre de ma plume. […] Je fabrique des jouets en Ardenne, je fais le nègre. On se débrouille. Le prix Rossel me tombe dessus. J’ai 28 ans. […] Dix métiers encore, treize changements de domicile, toujours aux abois. Mon étiquette de misanthrope se décolle un peu au fil des rencontres. Aujourd’hui, je ne me sens pas très éloigné du jeune homme qui prit un beau matin la route de Manosque. A peine quelques illusions perdues. Tous mes romans sont réédités, les traductions se multiplient et il paraît que les libraires m’aiment bien. Tant mieux, moi aussi je les aime bien. J’aime foncièrement les gens, sauf les prétentieux, les faux-culs et les faiseurs. Et à bien y réfléchir, ça fait beaucoup de monde. »

En un temps où la création littéraire est parfois devenue affaire de spécialistes diplômés sinon de théoriciens patentés, Adamek-l’autodidacte a toujours fait bande à part dans les lettres belges, et c’est tant mieux, car son indépendance, farouchement préservée, garantit cette saveur de fruit mûr et cette fraîcheur de l’imaginaire que ses romans véhiculent avec la grâce d’un style d’artisan. Grand raconteur d’histoires, créateur de magie et de rêve, Adamek, hanté par l’innocence originelle, n’hésite pas à conférer à ses œuvres la riche épaisseur des fables, remontant jusqu’aux sources du fantastique quotidien.

Dans ses romans, l’homme semblerait un loup pour l’homme si n’existait la femme, vibration fondamentale de son univers. En effet, pour Adamek, la femme est seule en mesure de donner sa plénitude à l’homme, par le corps, le cœur et l’esprit. Avec le vin et la nature, elle confère à l’œuvre du romancier cette touche de sensualité et de truculence qui fait de la lecture des œuvres d’Adamek une véritable fête des sens, de l’imaginaire et du langage au vif même de la condition humaine.

Alain Bertrand et Christian Libens


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°169 (2011)