La feinte réalité du poème
François JACQMIN, La rose de décembre et autres poèmes, La différence, coll. « La clepsydre », 2000
De François Jacqmin, qui fut Grand prix quinquennal de littérature française de Belgique, décédé en 1991, Gérard Purnelle et Karel Logist ont rassemblé des textes — cinq minces opuscules — publiés de manière confidentielle, ou modeste, entre 1959 et 1981, et dont le préfacier Tristan Sautier souligne pertinemment les paradoxes.
Il ne suffit pas, pour être poète, de ressasser qu’on se heurte à l’invisible, à l’indicible, à l’intouchable, à l’illisible : constat trop ancien pour encore nous retenir… Il faut se colleter au silence, à l’absence, au néant ; les défier pour, lors d’une trêve ou par un sursaut pascalien (quand on croit malgré tout), ensuite en écrire : comme fait Jacqmin, se fouailler à coups d’impératifs lancés tant à soi qu’à son lecteur complice, se passer volontairement d’images (« ô ciel sans images ! / Incomparable leçon d’économie ! ») et se faire philosophe ; philosophie et poésie sont filles de l’étonnement, de la stupeur. Fourbu d’un impitoyable dialogue avec la réalité, acculé au refus d’une pensée qui flétrit mais n’épuise pas les significations, le poète-philosophe retourne aux choses élémentaires : nuages, pierres, oiseaux, flots, sables, fleurs, parfums, vents. Des avatars ont beau les travailler jusqu’à les rendre (apparemment) méconnaissables, elles n’en continuent pas moins d’être ce qu’elles sont au plus intime d’elles-mêmes : « L’existence épouse / n’importe quoi ! » Quitte à s’épurer jusqu’à l’os, jusqu’à l’abrupt, quitte à renoncer à la rime et au vers régulier, le poète n’en renonce pas pour autant au rythme ni à la musique. Ainsi, par exemple, les dix poèmes qui composent Le coquelicot de Grétry comptent chacun quatre strophes de cinq vers : la forme contrainte riposte fièrement (non sans fatigue : « poème / péniblement calculé ») à l’incohérence du monde pour la lisser. Pour ce faire, Jacqmin use, sans tapage, d’une phrase qui dissimule précieusement, sous des apparences un peu raides, un peu austères ou abstraites (« transsubstantiation — appréhension — restriction — logique — apologétique — dialectique » sont des mots qu’on rencontre rarement sous la plume d’un poète), une musicalité très préméditée : « Nulle œuvre n’a le sable / pour cime ; nulle pensée n’a / l’impensable pour cible. »
Pol Charles
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°114 (2000)