Jean-Baptiste Baronian : « J’ai cent ans » – 29 avril 2042

jean baptiste baronian

Jean-Baptiste Baronian

Cher Carmelo Virone Junior,

Il y a une cinquantaine d’années votre père, Carmelo Virone, en sa qualité respectable de rédacteur en chef de la revue Le Carnet et les Instants, m’avait adressé un petit mot où il me demandait de répondre à la question de savoir ce qu’en 2042 on retiendrait de moi. Malgré mon grand âge, j’ai, vous pouvez le constater, une excellente mémoire. À l’époque, il devait s’agir d’un simple jeu et je crois me souvenir que je m’y étais plié de gaieté de cœur. Mais j’ignorais alors, et probablement votre père aussi, que j’allais devenir centenaire et être, depuis des lustres et des lustres, l’objet d’un immense culte vivant. Dois-je vous rappeler qu’on a célébré en grandes pompes mes 60 ans de vie littéraire, puis dans tout le pays mes 70 ans, mes 75 ans, mes 80 ans et mes 90 ans ? Dois-je vous citer les innombrables ouvrages, colloques et séminaires qui m’ont été consacrés ces dernières décennies ? Dois-je vous rappeler qu’à Anvers, ma ville natale, une rue porte mon nom et qu’à Etterbeek, où je réside depuis 95 ans, ma statue a remplacé, place des Acacias, celle de Jef Lambeaux (dont, il est vrai, plus personne ne se souvient).

J’ai refusé à plusieurs reprises le prix Nobel de littérature mais j’accepte volontiers l’honneur que vous me faites de me consacrer un numéro spécial. Et si vous le voulez bien, nous le dédierons à votre cher père, sans lequel l’imaginaire belge ne serait peut-être pas devenu cette douce folie de notre siècle.

Jean-Baptiste Baronian


Texte publié dans Le Carnet et les Instants n°100 (1997)