Écrivain aux multiples visages (tour à tour romancier, conteur, nouvelliste, biographe, essayiste, auteur d’albums pour enfants et d’histoires pour la jeunesse), éditeur aux multiples activités, Jean-Baptiste Baronian est pleinement, intrépidement, un homme de livres – collectionneur et bibliophile de surcroît. Oserait-on dire : un fou de livres ?! Avec pour traits particuliers la passion des littératures de l’imaginaire ; un goût de l’étrange, du mystère ; une obsession de l’angoisse.
Il a su tôt que le monde du livre serait le sien.
Étudiant en droit à l’UCL, il signe un recueil de poèmes intitulé sans ambages La chair et le sang. Fonde avec un ami une revue de droit et de littérature, Sed lex, qui compta une demi-douzaine de numéros ; et, en dernière année, une petite maison d’édition, La Plume ivre, qui publierait deux plaquettes, l’une sur Béjart et son Ballet du XXe siècle, l’autre réunissant deux nouvelles dont l’une de lui. On était en 1968. Jean-Baptiste Baronian faisait, à vingt-six ans, ses premières armes.
J’avais été un cancre au collège, au point que le préfet avait conseillé à ma mère de m’inscrire dans une école technique. Je m’y résignais, mais elle a voulu me donner une chance, en dépit de mes redoublements. J’ai atterri à Saint-Louis pour une classe de poésie où, simultanément, j’ai commencé à lire beaucoup et à être un brillant élève ! Puis, figurez-vous, un brillant étudiant.
– Déjà tenté par l’écriture et par l’édition.
– Oui. Pour La Plume ivre, j’étais allé voir un imprimeur à Louvain ; je me suis intéressé au papier, aux caractères… Dès ce moment-là, je voulais entrer dans le monde du livre, peu importe par quelle porte.
– Ce fut celle de l’édition, en l’occurrence Marabout, où vous débutiez en 1969.
– Suite à une lettre de candidature, Jean-Jacques Schellens m’a convoqué, et ce qui l’a séduit, c’étaient mes premières connaissances en imprimerie et en édition, plus que mon diplôme de docteur en droit ! Marabout a été une magnifique école, parce qu’on ne se contentait pas de lire des manuscrits. J’y ai appris la transformation d’un texte en livre : le travail intellectuel s’y doublait d’un travail concret, qui me captivait tout autant. Je n’ai pas retrouvé ce syncrétisme à Paris. »
Directeur de collections, notamment celle de littérature fantastique, puis directeur littéraire de la maison, Jean-Baptiste Baronian quittait Marabout en 1977. Il allait alors diriger à Paris diverses collections chez plusieurs éditeurs : au Livre de Poche (science-fiction), à la Librairie des Champs-Elysées (fantastique) ; aux Nouvelles Éditions Oswald (NEO), où il publie entre autres l’intégrale des aventures d’Harry Dickson, de Jean Ray, dont une bonne partie avait paru en volume chez Marabout. Plus tard, chez 10/18, il succédait à Hubert Juin à la tête de la collection Fins de siècle, où figurent des écrivains qui lui sont chers : Rémy de Gourmont, Octave Mirbeau, Tristan Bernard… Dirigeait, chez Julliard, la Série rouge, une collection d’anthologies de nouvelles policières et fantastiques autour d’un thème (Enfants rouges, Noëls rouges, Trains rouges…). Et, de 1989 à 1994, il assurait la direction des Éditions Fleuve Noir, un département des Presses de la Cité, où il a édité notamment Frédéric Dard, alias San Antonio.
« Depuis 1994, je me limite, dans le domaine de l’édition, à des collaborations sporadiques. C’est ainsi que je dirige, depuis un ou deux ans, à L’Age d’Homme, la collection La petite Belgique. À côté d’inédits (fiction et poésie), j’y réédite des ouvrages méconnus, par exemple un roman fantastique de Maurice Carême, Médua, tout à fait inattendu par son sujet : un homme de quarante ans tombe amoureux d’une méduse qu’il a recueillie au bord de la plage et qui, peu à peu, devient pour lui le symbole de la féminité et de l’érotisme. Preuve qu’on se trompe en prenant Maurice Carême pour un gentil poète au charme mièvre…
– De tous ces chapitres, lequel fut-il le plus heureux, le plus enrichissant ?
– Mes années chez Marabout. Ma vie se confondait quasiment avec Marabout et ses auteurs. »
Éditeur, Jean-Baptiste Baronian s’est centré sur l’imaginaire, avec une prédilection pour la littérature fantastique et le roman noir. Il leur a consacré des essais (Un nouveau fantastique, Panorama de la littérature fantastique de langue française, Simenon ou le roman gris…) et des anthologies (La France fantastique, La Belgique fantastique, les volumes de la Série rouge, ou encore Noir scénar, qui regroupe des nouvelles policières inédites d’auteurs francophones sur le thème du cinéma.
Sa réputation de spécialiste de ces deux genres littéraires n’est-elle pas quelquefois étouffante ? D’autant que, s’il les a volontiers pratiqués lui-même, il ne s’y est pas cantonné.
« On m’a, en effet, collé une étiquette, qui m’a pesé parce qu’elle était réductrice. Grâce à mes récentes biographies (Baudelaire, Verlaine, Rimbaud), on s’aperçoit que j’ai d’autres centres d’intérêt.
– Quand vous avez quitté Marabout, vous aviez trente-cinq ans, et faisiez le pari aventureux de vivre de votre plume – sans toutefois lâcher l’édition.
– Disons que je voulais vivre de mes activités littéraires.
– Jean Giono donnait comme premier conseil à tout jeune auteur d’avoir un métier. De son côté, Marcel Duchamp désignait le piège qui guette l’artiste : « faire d’une liberté une profession ». Des mises en garde qui vous laissent songeur. Pourtant, sans autre gagne-pain, n’est-on pas entraîné à écrire beaucoup – et derrière ce « beaucoup » se profile la menace du « trop ».
– Je ne crois pas.
– Vous ne pensez pas non plus que, si le journalisme apprend la clarté, la sobriété, la concision, l’efficacité, il risque de le faire au détriment de la création personnelle, de la libre imagination, de la profondeur ? La mode est aux billets d’humeur, aux propos sur le vif, aux commentaires de l’actualité, par définition éphémères, dispersés dans la presse par des écrivains. On frôle vite l’anodin, l’humour facile, le bavardage…
– En journalisme, j’ai fait essentiellement de la critique littéraire. À L’Express, au Magazine littéraire (pendant plus de trente-cinq ans !), au Vif. C’est un travail excitant, qui n’a pas lésé celui d’écrivain que je menais dans le même temps. Difficile, aussi : le critique, si attentif soit-il, peut manquer certaines choses. Je me rappelle que, dans mon livre L’apocalypse blanche, deux points me tenaient particulièrement à cœur, qu’aucun critique, sur une trentaine d’articles souvent élogieux, n’a relevés. En revanche, il arrive qu’un article vous révèle des pans obscurs de vous-même… Je pense que la voix du professionnel du livre a du poids, car il possède la culture littéraire qui lui permet de ne pas trouver des chefs-d’œuvre à tous les coins de rues ! Je ne suis pas contre le principe du journalisme d’humeur –voyez le Bloc-notes de François Mauriac. Hélas ! tout le monde n’est pas Mauriac, et il faut bien dire que nombre d’auteurs, dont le nom se retrouve chaque semaine dans la presse, sont de piètres échotiers…Cela m’aurait plu d’écrire des billets d’humeur, mais on ne me l’a jamais proposé. De même, mon rêve aurait été de suivre un Tour de France et de rendre compte de chaque étape, en toute liberté.
– À l’instar d’Antoine Blondin ?
– Oui, mais on ne me l’a jamais demandé, alors que les allusions au cyclisme abondent dans mes livres…
– Cela dit, vous avez donné libre cours à vos penchants frondeurs, impertinents, dans Tohu-Bohu, « revue tapageuse paraissant aux quatre saisons », que vous lanciez en 1982, en complicité avec le libraire-éditeur Emile Van Balberghe. Vous en étiez le « haut-parleur » ; lui, le « porte-voix » ! L’esprit, le ton rappelaient les savoureuses Lettres ouvertes aux écrivains de Belgique de Roger Avermaete.
– Tohu-Bohu a eu deux ou trois numéros, et provoqué quelques remous ! C’est un excellent souvenir. »
La liberté du franc-tireur
Après un roman poétique d’apprentissage, L’un l’autre (Robert Morel, 1972), Jean-Baptiste Baronian en publie plusieurs chez Robert Laffont, qui ont chacun leur ton, leur couleur : l’ironique, étourdissant Autour de France ; l’onirique, tragi-comique Scènes de la ville obscure ; le facétieux Diable Vauvert. Exercices de style, romans de formation, d’expérimentation. Jusqu’à Place du Jeu de Balle (1980), où perce sa sensibilité. Comme s’il avait fait ses gammes et laissait palpiter des émotions, deviner des tendresses. À partir de ce roman d’un dimanche d’été insolite au marché aux Puces de Bruxelles, l’écrivain est là, derrière ses personnages, même le buraliste des Quatre coins du monde, sombrant dans un naufrage consenti, qui est en même temps une délivrance ; une manière d’échapper à la perspective désolante d’une « vie clef sur porte ». Est-il de ceux où résonne sa voix la plus juste ?
« Il y a des livres que je préfère à d’autres comme si j’en étais le lecteur et non l’auteur. J’aime beaucoup Matricide, Lord John, Le tueur fou, Le vent du nord, et, comme vous, Les quatre coins du monde. Je citerais aussi L’apocalypse blanche, où l’angoisse devient métaphysique, et mes trois biographies de poètes, particulièrement la dernière, Rimbaud, où la précision historique est la plus aboutie. Il s’agit de commandes. J’avais proposé un Beethoven à Gérard de Cortanze pour la collection de Gallimard Folio Biographies. Mais il m’a orienté vers Baudelaire.
– Ce sont les trois plus grands poètes français, à vos yeux ?
– Quand on parle de grands poètes, il est impossible de ne pas évoquer Hugo, souvenons- nous du mot de Gide ! Ce sont en tout cas des poètes majeurs. La question qui se posait à moi était : comment me distinguer des nombreux auteurs qui m’ont devancé ? J’ai pris le parti de situer chacun dans son temps, tel qu’il était, sans tenir compte de ce que sait de lui la postérité. Je trouve Verlaine humainement le plus intéressant, malgré ses côtés monstrueux. Et il est pour moi le plus grand poète français, ce qui n’est pas l’avis de l’université ! Le plus pur, le plus musical, le plus vrai. Et ce n’est pas un intellectuel, Dieu merci !
– Vos personnages n’en sont pas non plus, en général ! Que ce soient le concierge soliloquant éperdument d’Autour de France, les brocanteurs de Place du Jeu de Balle, le marchand de tabac à la dérive des Quatre coins du monde ; le policier transi de L’apocalypse blanche, accumulant, dans un Bruxelles couvert de neige, les déboires et les échecs…
– J’ai toujours été intrigué par les gens qui n’appartiennent pas au même milieu que le mien. J’essaye de me mettre dans leur tête. J’ai hanté les quartiers où ils vivent, même si je n’y ai jamais habité. »
Quartiers anciens, populaires, du cœur de Bruxelles qui est pleinement la ville de Jean-Baptiste Baronian. Né à Anvers de parents arméniens qui se sont installés à Bruxelles lorsqu’il avait deux ans, il en a fait, plus que le décor, le fond de la scène ou du tableau, une partie vivante de ses histoires.
Ses personnages y coulent une existence tranquille, modeste, terne, monotone. Surgit l’imprévu qui révèle la fragilité, voire l’inanité de ce qu’ils croyaient acquis, sûr, définitif, et les fait basculer.
Le romancier les suit d’un regard où se mêlent la curiosité, la compassion, l’ironie. Le regard qu’il porte sur le monde ?
« Mes proches me le disent. Vous me trouvez pessimiste ? Je dirais plutôt que je suis quelqu’un qui s’accommode de la vie. Mon grand thème est moins la solitude des êtres que l’irruption de l’événement, souvent peu spectaculaire, qui les renvoie à ce qu’ils sont et ne soupçonnent pas d’être.
– L’irrationnel est toujours tapi dans l’ombre. Tout est possible – y compris le pire. Je songe, par exemple, à Neuf petits crimes très ordinaires, où des hommes et des femmes comme vous et moi sont emportés dans une tempête qui les transforme en assassins accidentels. Serions-nous tous des violents qui s’ignorent ? Recelons-nous tous des forces obscures, capables de bouleverser l’ordre des choses, de fracasser notre équilibre, de nous métamorphoser en un autre nous-même, par ce dédoublement qui vous fascine ?
– Nous sommes tous à la merci de la violence, celle des autres et la nôtre. Une rupture se produit soudain, généralement sous le coup d’un événement. Mais elle peut advenir par la contamination, le mal qui se communique, se transmet comme un virus. Ainsi, dans Letueur fou, à force de traquer un tueur, le policier en devient un.
– Si vous ménagez volontiers à vos histoires une chute inattendue, parfois saisissante, il vous arrive d’en laisser la fin ouverte : dans La vie continue, un de vos romans les plus troublants, Anaïs, la trentaine, traductrice, épouse et maman heureuse, voit se fissurer, d’absences inexpliquées en mensonges, sa vie conjugale qu’elle croyait limpide, et vous l’abandonnez en pleine, douloureuse incertitude…
– Souvent, le roman donne des explications au destin des êtres humains. Je veux du roman pur. C’est peut-être pour cette raison que mes histoires ne s’achèvent pas toujours. Dans la réalité aussi, les destinées sont en suspens…
– Vous composez plutôt de faux textes fantastiques, de faux policiers. Le dernier, Le bureau des risques et périls, sous-titré « Puzzle policier et vaudevillesque de 42 pièces », est même franchement ludique, parodique. Aussi drôle qu’haletant. Parfois, vous entremêlez les deux genres, pour nous égarer ou nous mystifier complètement ! Ce goût des marges, des chemins de traverse, tend à faire de vous un auteur inclassable. Ce qui, j’imagine, vous agrée parfaitement ?
– Bien sûr ! Je suis un franc-tireur.
– N’est-il pas étonnant, pour un franc-tireur, à qui il a longtemps plu de n’être pas reconnu par le monde littéraire officiel, de n’avoir reçu aucun prix, de se retrouver académicien ?
– L’Académie m’a choisi, en 2002, pour occuper le siège de Thomas Owen. Cela m’a totalement surpris. Touché. Honoré. Et j’y suis très assidu.
– Il est vrai que Jean Muno, lui aussi inclassable, vous y avait précédé. C’était un ami proche ?
– Extrêmement proche. Notre amitié était liée à des affinités profondes et à notre travail quotidien d’écrivains : une connivence que je n’ai jamais retrouvée. Mais j’ai noué aussi une grande amitié avec Jacques Sternberg et avec Guy Vaes. »
Jean-Baptiste Baronian est resté passionnément amateur des littératures fantastique et policière. La première est-elle une spécialité belge ?
« La littérature belge s’accomplit de la manière la plus remarquable dans les marges. Par exemple le symbolisme, le surréalisme, le fantastique. C’est dans le sauvage, les courants rebelles, que les créateurs, dans notre pays, sont les plus originaux.
– Et le premier de nos fantastiqueurs est Jean Ray. Fut-il pour vous le grand initiateur ? Votre père en littérature ?
– Non. J’adore Jean Ray, je trouve qu’il a écrit quelques-uns des contes les plus parfaits de la littérature fantastique (n’oublions pas cependant Ghelderode, Marcel Thiry, Gérard Prévot, Jean Muno…), mais Simenon m’a sans doute plus influencé, de même qu’Edgard Poe, Faulkner et Borges.
– Vous lui avez consacré en 1981, en collaboration avec Françoise Levie, un essai doublé d’une chronologie biobibliographique : Jean Ray, l’archange fantastique.
– Il vient de ressortir, sous le titre Jean Ray, à La Maison d’à côté, revu et mis à jour, avec, en DVD, le seul film jamais fait sur Jean Ray, réalisé par Jean Antoine.
– Et vous lui avez rendu hommage dans l’inventif et sensible Lord John (1986), réédité dix ans plus tard par Labor dans la collection Espace Nord Junior.
– Lord John est très aimé des jeunes, mais n’a pas été conçu pour eux. Je n’ai jamais oublié le jour où, invité dans un collège bruxellois par un professeur de français pour présenter le livre, je me suis retrouvé devant un auditoire de plus de deux cents lycéèns, qui tenaient tous leur exemplaire en main, prêts à débattre avec moi…et comptant fermement, chacun, sur une dédicace. C’était mon jour de gloire…!
– Vous avez écrit aussi sur Simenon : un essai, Simenon ou le roman gris ; une biographie illustrée, Simenon, l’homme à romans. Et vous avez été l’un des fondateurs, en 1987, de l’Association internationale Les amis de Georges Simenon, que vous présidez depuis l’origine.
– L’asbl publie des Cahiers annuels thématiques, réservés aux membres, et des études sur Simenon, ou des écrits de lui qui avaient paru dans diverses revues, mais pas encore en volume. Simenon, c’est le plus grand. Inimitable. Inimité. Ce qui est génial chez lui, c’est qu’il a su trouver une écriture neutre mais prenante, qui correspond exactement à l’atmophère de ce qu’il raconte, à la couleur des personnages qu’il met en scène. Il a révélé la part de médiocrité, de veulerie qu’il y a en chacun. Jeune homme, j’étais séduit par le Nouveau Roman et ses techniques impersonnelles, ce que Claude Mauriac a appelé « l’alittérature ». Mes premiers livres sont très marqués par cette influence. Puis, je me suis rendu compte que c’était une impasse ; qu’il fallait raconter des histoires en mettant un maximum d’émotions et de sensations dans un minimum de mots. S’attacher à des personnages, décrire des situations. J’aime qu’on me raconte des histoires, comme le font merveilleusement Stevenson, Kipling ou Simenon. »
La ferveur du mélomane
Des contes fantastiques aux fictions tissées autour de gens sans histoire dont la vie et l’âme soudain basculent ; des romans noirs, d’abord signés Alexandre Lous (un demi- pseudonyme – son nom véritable est Lous Baronian – qu’il a progressivement abandonné), aux récits pour la jeunesse ; des essais et biographies aux albums pour enfants, Jean-Baptiste Baronian a cultivé presque tous les genres littéraires. Sauf un, abondammant pratiqué par ses confrères : la littérature d’aveux, la chronique intime. Par pudeur ? En épigraphe à Place du Jeu de Balle, il cite Henri de Régnier : « Tout homme à s’expliquer se diminue. On se doit son propre secret.[…] Sa vie ne se raconte pas et il faut laisser à chacun le soin de se l’imaginer. » Une profession de foi éclairante. Nous ne lirons jamais de confidences sous sa plume ?
« Mes livres forment une autobiographie morcelée. Je nourris mes personnages, qui ne sont jamais moi, d’émotions, de sensations qui me sont propres, d’idées qui me sont chères. Ils y gagnent en épaisseur, en authenticité. Ainsi, quand j’étais enfant, j’ai passé une année au bord de la mer avec ma grand-mère, pour raison de santé. Dans mon souvenir, c’était toujours l’hiver ! Un séjour sinistre, glauque, au milieu de villas fermées, qui, quarante ans plus tard, m’a inspiré Le vent du nord. J’y ai transposé un autre épisode vécu alors : le choc de la découverte du sexe par un garçon de dix, onze ans…
– Parmi toutes vos activités dans le monde du livre, il en est une qui manque à l’appèl : la librairie. C’est cependant une manière de défendre des auteurs mal connus, des livres négligés, oubliés. Une démarche proche de celle de votre essai Une bibliothèque excentrique où vous mettez en lumière – on peut dire : ressuscitez – une trentaine de textes perdus, notamment un récit de science-fiction de Simenon qui l’avait rayé de sa bibliographie.
– J’ai pense à être libraire, bouquiniste, comme à fonder une maison d’édition. Les circonstances ne s’y sont pas prêtées.
– On rencontre d’ailleurs des libraires dans votre œuvre. À commencer par celui de Lord John, érudit et bougon, tenant boutique dans une vieille maison tout en hauteur de la rue des Éperonniers, près de la Grand-Place, en qui on reconnaît Henri Mercier et son inoubliable enseigne La Proue. Vous l’avez bien connu ? Vous lui avez dédié un des contes fantastiques de La bibliothèque de feu.
– Henri Mercier a été un de mes libraires amis. Un de ceux qui m’ont le mieux initié à la littérature, particulièrement aux surréalistes belges.
– Je crois savoir que vous êtes un ardent mélomane. La musique se glisse pourtant rarement dans vos pages. Celle de Ravel vibre dans Le vent du nord. Mais c’est surtout dans Quatuor X qu’elle se fait obsédante. Le détective Rubens, chargé de retrouver la trace d’une jeune fille disparue, étudiante au Conservatoire en classe de violon, mène, à travers un Bruxelles cachant de ténébreux mystères, une enquête rythmée par la musique classique qui le console de l’ignominie dans laquelle il se trouve plongé. Sa passion rejoint la vôtre ? Après celles de la littérature, fantastique ou non, et de la bibliophilie qui vous a inspiré un petit livre singulier La bibliophilie : une sanction…
– Je vais vous étonner : ma passion pour la musique est plus grande encore. Voyez-vous, la littérature, j’en devine les rouages, les mécanismes. Ce qui n’est pas le cas de la musique, dont l’élaboration, la composition restent pour moi un mystère : je suis mélomane, pas musicien. Par sa dimension spirituelle, métaphysique, la musique me procure des émotions exceptionnelles. Plus fortes, plus intenses que celles que je dois à la littérature. Mes musiciens préférés ? Bach, Beethoven, Puccini, Debussy, Ravel, Britten… »
Jean-Baptiste Baronian ne rêvait-il point d’un Beethoven pour la collection Folio Biographies, avant d’y inscrire ses études sur Baudelaire, Verlaine et Rimbaud ? Nous aimerions le lire un jour…
Francine Ghysen
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°163 (2010)