Après avoir obtenu le prix Rossel en 1993 pour Corps de métier (La différence), Jean-Luc Outers voit à nouveau son travail d’écrivain récompensé par une importante distinction. La place du mort, son troisième roman, également paru à La différence, vient en effet de recevoir le prix AT&T littéraire (ex N.C.R.), d’un montant de 500.000 francs belges.
Ce prix annuel, fondé en 1988 par une société multinationale spécialisée en télécommunications, couronne alternativement un auteur belge francophone et un flamand. Gérard Adam (1989), Anne François (1991) et Patrick Virelles (1993) en furent les précédents lauréats pour notre Communauté. Cette année, aux côtés de Jean-Luc Outers, le jury, présidé par Gaston Compère, avait également retenu dans sa sélection finale, Yves Wellens (Le cas de figure, Didier Devillez), Bruce L. Mayence (Les guenons, Métailié), Ariane Le Fort (Comment font les autres, Le seuil) et Vincent Engel (La vie malgré tout, L’instant même). Tous avaient en commun le fait d’avoir publié au maximum trois livres de fiction. C’est en effet l’une des conditions d’attribution du prix AT&T, qui s’est donné pour objectif d’encourager les auteurs au début de leur carrière.
La place du mort, cependant, n’a pas dû attendre cette consécration pour rencontrer son public : dès sa sortie pratiquement, et durant plusieurs semaines, le roman a figuré dans la liste des dix meilleures ventes en Belgique publiées par le journal Le soir. Il a par ailleurs reçu un excellent accueil dans la presse.
Sans doute l’ouvrage a-t-il bénéficié, dans notre pays, de l’attention qu’on peut réserver à un représentant notable de l’institution littéraire. Sans doute cet effet de reconnaissance a-t-il été renforcé par les personnages mis en scène dans le roman, et en particulier par cette figure d’un père hémiplégique et privé de l’usage de la parole après avoir marqué la vie politique par ses talents d’orateur ; une figure dans laquelle le public belge a pu aisément identifier le ministre Lucien Outers. La manière dont Le soir a présenté La place du mort était significative à cet égard, puisque l’article qu’il lui a consacré, sous la plume de Jacques De Decker, était illustré par la juxtaposition de deux photos montrant côte à côte l’auteur et son père. Le vif/L’express allait plus loin encore en ce sens, puisqu’il se contentait du seul portrait du défunt ministre, avec en légende : « Lucien Outers : l’hommage du fils au père ». Dans son ensemble, la presse belge (La libre Belgique, L’écho, La cité, La dernière heure, Art et culture…) évoque ou cite le modèle qui a donné ses traits au protagoniste de La place du mort. Mais loin de s’arrêter à cette dimension anecdotique, ou du moins circonstancielle, la critique a souligné « cette capacité d’universalisation » qui fait « de ce livre, quoi que l’on pense, tout autre chose qu’un roman à clés » (J. De Decker). Ainsi Francis Matthys (La libre Belgique) y voit « le récit symbolique d’un rapprochement difficile voire impossible », tandis qu’Alain Delaunois remarque, dans Art et culture, que « l’écriture, dans toute sa pudeur, peut combler les trous et les malentendus du passé ».
Il suffisait d’ailleurs de consulter la presse française pour constater que, passée la frontière, la lecture rérérentielle n’opérait plus, quand le livre imposait encore ses séductions : celles d’un roman « rare, exigent, douloureux, très maitrisé dans sa distance pudique » (Patrice Delbourg, L’événement du jeudi). Et ce « pèlerinage triste » (Monique Pétillon) a été apprécié par des organes aussi éloignés que Le monde, Le magazine littéraire ou Les inrockuptibles ; preuve, s’il en était besoin, que « la superbe parabole de Jean-Luc Outers », pour reprendre un titre de La croix, était de nature à toucher des publics très différents.
Il n’empêche que la « belgité » du texte a aussi retenu l’attention. Ainsi, Gérard Meudal notait, dans Libération : « À la description intimiste de la relation père-fils se mêle […] une réflexion sur la langue. Parce qu’il est belge, Jean-Luc Outers est particulièrement sensible à l’aspect problématique des questions linguistiques ». Par ailleurs, dans La croix, Thierry Bayle évoquait « ce mélange de tendresse et d’humour, de tragique et de désinvolture qui n’est pas sans rappeler d’autres auteurs belges de sa génération ».
On peut maintenant attendre comment le roman sera reçu en Flandre et aux Pays-Bas, car il est déjà en cours de traduction en néerlandais.
Carmelo Virone
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°91 (1996)