La disparition de Georges Sion

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Georges Sion

Humaniste et homme de culture, dramaturge, essayiste et journaliste, académicien, professeur et conférencier, Georges Sion était un exemple accompli d’ « honnête homme ». L’élégance – de la mise et de l’esprit – était sa seconde nature. L’auteur de La malle de Paméla est décédé le 13 avril dernier.

« Talonné par le temps, je rêve de pouvoir rêver à des pages que je rêverais d’écrire. Hélas, un article à faire, un  courrier urgent, un cours à préparer, une conférence à réviser, un manuscrit à lire font que le temps se resserre cruellement avant que la ‘réunionite’, cette caractéristique de notre époque, achève de l’étouffer complètement ». Le temps s’est resserré sur Georges Sion, qui vient de nous quitter à l’âge de 88 ans. Le temps, il l’aura donné sans compter à autrui, à ses étudiants du Conservatoire où il enseigna l’histoire du théâtre, aux associations innombrables qu’il présidait ou dont il était membre, à de nombreux jurys littéraires où son sens aiguisé du dialogue et de l’échange était très apprécié – « oubliant » au passage de s’en réserver une part pour mener à bien son essai sur « les princes de la futilité » qu’il nous promettait depuis des années. Ces princes, c’étaient Marivaux, Musset, Giraudoux, Tchekhov, Cocteau, les écrivains et les musiciens viennois, et leur « futilité », dans l’esprit de Georges Sion, était la politesse d’une gravité cachée. Cette définition lui ressemble tant (voyez son théâtre, où la gravité souvent s’avance sous le masque de l’ironie et de la légèreté) que ce livre aurait sans doute eu valeur d’autoportrait.

Né à Binche en 1913, il avait rêvé jeune homme d’une carrière de pianiste (la musique fut avec la littérature la grande passion de son existence), tout en poursuivant des études de droit et en publiant ses premiers articles dans la presse étudiante. Sa rencontre avec le comédien Claude Etienne, en 1943, sera décisive. Celui-ci, qui s’apprête à fonder la compagnie du Rideau et songe à monter un Corneille, s’enthousiasme pour la première pièce de Georges Sion. C’est donc La matrone d’Éphèse qui portera le nouveau théâtre sur les fonds baptismaux. Ce premier essai révèle d’emblée un dialoguiste brillant et un dramaturge au métier sûr, mariant la drôlerie et la gravité au fil d’un marivaudage tenu d’une plume allègre. Le succès sera immédiat et la suite de sa carrière dramatique restera étroitement associée au Rideau qui créera la plupart de ses pièces ainsi que ses adaptations de pièces étrangères, Antoine et Cléopâtre de Shakespeare, notamment. Particulièrement à l’aise dans la comédie (La malle de Paméla, La princesse de Chine), Sion élargit son registre au drame historique (Charles le Téméraire) jusqu’à donner, avec Le voyageur de Forceloup (1952), un drame d’une grande intensité sur le problème du mal et de la rédemption où beaucoup ont vu son chef-d’œuvre.

Parallèlement, cet homme-orchestre déploie une intense activité de journaliste. Secrétaire de rédaction de La revue belge, il fonde l’hebdomadaire Vrai et collabore à de nombreux journaux et périodiques. Pourquoi pas ?, La cité, La lanterne, La Libre Belgique et surtout Le Soir. Il y assume les fonctions de critique dramatique et de chroniqueur littéraire et publie également des reportages de voyage d’une belle acuité (au Congo, en Europe et en Amérique) dont il tirera la matière de quelques essais. Élu à l’Académie royale de langue et de littérature françaises en 1962, il succède en 1972 à Marcel Thiry  à la fonction de secrétaire perpétuel, qu’il assumera jusqu’en 1988. L’Académie Goncourt l’avait admis en son sein en 1975 et il devint président du Pen Club en 1985.

Comme critique, Georges Sion avait d’abord à cœur de faire partager ses enthousiasmes. Sa curiosité toujours en éveil n’avait d’égale que sa sûreté de jugement. Il laisse le souvenir d’un homme affable et généreux, conteur sans pareil aux mille anecdotes, pour qui la culture et les nourritures spirituelles étaient inséparables du mouvement de la vie.

Christian Bréda


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°118 (2001)