En 2008, Jean-Baptiste Baronian a créé la collection « La petite Belgique » aux éditions L’Âge d’Homme. Deux ans plus tard, l’occasion de tirer un premier bilan.
Le Carnet et les Instants : Comment est née cette idée de collection ?
Jean-Baptiste Baronian : C’est un des épisodes d’une vieille amitié avec Vladimir Dimitrijevic, une amitié qui a commencé il y a quarante ans avec la publication de Un nouveau fantastique. Avec lui, cela se passe souvent de façon improvisée ; on peut parler d’un sujet, et il a l’intuition que cela peut faire un livre intéressant. Sa formule est alors « Note ça ». C’est ce qui s’est passé suite à une discussion sur les formes du fantastique contemporain. Bien plus tard, cela a de nouveau été le cas avec une discussion sur la bibliophilie : « Note ça » et cela a donné La bibliophilie : une sanction. Ceci dit, notre amitié est aussi faite de certains désaccords que nous assumons. Et lors d’une de ces nombreuses discussions que nous pouvons avoir ensemble est surgie l’idée de la collection « La petite Belgique ».
Le catalogue de L’âge d’homme comportait déjà plusieurs auteurs belges. Pourquoi celle collection?
La collection permet de fédérer les auteurs. Les écrivains belges ne paraîtront plus que dans le cadre de cette collection.
Quelle ligne de conduite vous donnez-vous dans votre politique éditoriale ?
La Belgique est un pays d’excentriques. Je veux dire par là qu’on y trouve beaucoup d’auteurs inclassables selon les critères habituels de la littérature de France où le genre et le style dominants sont le roman d’analyse. Les Belges sortent facilement des sentiers battus, car la Belgique est, je le crois, le pays des écrivains irréguliers qui refusent de marcher en file indienne. Par exemple, les symbolistes belges n’ont pas grand-chose à voir avec les symbolistes français. Les surréalistes non plus : impossible de comparer Nougé, Lecomte, Scutenaire ou Mariën avec Breton et ses coreligionnaires. Il y a chez les Belges une radicalité et un esprit d’impertinence qui représentent sans doute le vrai esprit surréaliste.
Et les fantastiqueurs !
Évidemment. Le fantastique belge explore des voies tout à fait originales, Jean Ray, Owen, Muno, Prévot, y compris dans ses manifestations les plus récentes, je veux parler de Bernard Quiriny. Je voudrais que la collection soit le foyer de toutes ces différences, qu’elle n’accueille que des écrivains uniques. Cela ne veut pas dire qu’ils renient toute tradition ; il peut y avoir des écrivains classiques comme des auteurs d’aujourd’hui.
Quel est alors le point commun à tous ces écrivains ?
Ce qui les rassemblerait, c’est le goût du verbe, peu importe le genre, roman, nouvelle, poème, journal intime, essai. Mais il y a aussi en Belgique, ce que je pourrais appeler une attention à des sujets excentriques ; les auteurs, dans ce qu’ils disent et pensent, ont souvent un point de vue original. Il est sans doute difficile de pouvoir le définir, mais on peut affirmer en tout cas qu’il n’est pas exactement pareil à ce qui se dit et se pense en France. Sur ce point là, Dimitrijevic et moi nous nous rejoignons ; il a toujours considéré que la Belgique est une terre d’originalité. Et moi-même, étant à la fois très belge et venant d’ailleurs, je le ressens de la même façon. D’autant plus que mes activités d’éditeur, en France comme en Belgique, m’ont donné la possibilité de percevoir des différences.
Comment concevez-vous votre rôle d’un éditeur ?
Le rôle de l’éditeur c’est de transformer un manuscrit en livre. Un auteur, même confirmé, même ayant écrit un bon texte, peut avoir un manuscrit qui n’est pas au point, un manuscrit qui ne fera pas un livre. Il faut lui faire retravailler son texte. Le plus souvent, les auteurs acceptent. Ils doivent pouvoir accepter que c’est nécessaire à cette transformation du manuscrit en livre.
Quels sont vos projets ?
Nous publions de 6 à 8 titres par an. Jusqu’à présent nous avons privilégié les inédits, car en fait seuls le livre de Verhaeren et Médua de Carême sont des rééditions. Le recueil de poésie de Carême est lui un inédit. Je vais exploiter plus la possibilité de rééditer des textes inclassables qui donc n’intéressent pas beaucoup d’autres éditeurs : je pense à un livre de Jacques Henrard, L’homme à genoux, pour lequel il y a une forte demande. Ou un très bon texte de Roger Foulon, Les Lambis, qui avait été édité de façon quasi confidentielle. Plus ancien, je pense à un texte de Rodenbach, L’art en exil, le livre qui précède Bruges la morte. Et puis j’envisage d’intégrer des textes sur la Belgique, qui ne sont cependant pas d’écrivains belges : Théophile Gautier, Le voyage en Belgique ou Octave Mirbeau La 628-E8 pour ses pages, critiques, sur la Belgique.
Des inédits ?
Oui, bien sûr. D’une part, je reçois des manuscrits et donc il y a toujours la possibilité de bonnes surprises. Je sollicite également des auteurs. Certains ont des choses en cours qu’il faut mener à terme. D’autres sont partants, mais sans projet précis. Il faut un temps de maturation qui peut être très variable. Mais je laisse le temps. Et puis suit le retravail du manuscrit, pour en faire un livre. La difficulté existe parfois de faire comprendre qu’un texte est inabouti ou bien qu’il présente d’indéniables qualités mais ne correspond pas à la ligne éditoriale de la collection ; or il est essentiel de suivre une ligne éditoriale cohérente. Même si c’est au prix de devoir laisser partir le texte d’un grand nom qui ne correspond pas du tout à l’esprit de la collection, esprit qui a été patiemment construit. J’ai quelques noms en tête, des connus, mais aussi des auteurs moins connus dont je sais cependant qu’ils peuvent produire l’un ou l’autre texte de grande qualité.
La collection se vend-elle ailleurs qu’en Belgique ?
Oui, car la littérature qui se fait en Belgique intéresse les autres pays francophones, par son côté souvent atypique. Mais je dois dire qu’il peut se poser un problème de diffusion. Cela tient à nouveau à la personnalité hors norme de Vladimir Dimitrijevic. Il investit dans des auteurs auxquels il croit, peu importe l’aspect commercial. Il ne se pose pas la question de ce que cela peut lui rapporter, il n’envisage jamais non plus l’aspect pratique de la publication, le service presse, etc. Pour lui, il faut que ce livre existe. Il ne publie donc jamais de titre de complaisance ou résultant d’un calcul de l’immédiate actualité. Par contre, de cette façon, il peut faire des « coups », par exemple Eugenio Corti, Le cheval rouge, dont il a vendu 100.000 exemplaires. Et ce qu’il gagne, il le réinvestit tout de suite dans un autre livre qui pour lui doit exister. Il y a une dichotomie entre Dimitrijevic l’éditeur et la réalité du marché. Dans ce contexte, il est parfois difficile de trouver une bonne diffusion. Pour « La petite Belgique », le problème ne se pose pourtant pas dans notre pays. Elle y est bien accueillie et bien vendue.
Joseph Duhamel
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°162 (2010)