Maeterlinck et le monde
Le monde de Maeterlinck. Maeterlinck dans le monde, Textyles n° 41, Dossier dirigé par Michel Otten et Fabrice van de Kerkhove, Le Cri, 2011
Aujourd’hui, le théâtre de Maeterlinck, décrié voire dépassé selon certains, reste à sa façon moderne, et sans doute est-ce la raison pour laquelle son monde si particulier a fait et continue à faire le tour du monde. Au-delà du jeu de mots, le dernier dossier de la revue Textyles explore l’univers du Prix Nobel 2011, tel qu’il fut perçu à son époque, et d’abord
par lui-même, ensuite tel que l’adaptent aux contingences de temps et de lieu les metteurs en scène contemporains, venus de Belgique, de France, du Canada, mais aussi des pays germanophones, de l’Europe de l’Est, d’Espagne, de Grèce ou encore du Japon.
Particulièrement éclairante, la première contribution à ce dossier, signée Arnaud Rykner, se penche sur la modernité de
Maeterlinck au moment même où surgit son œuvre. D’emblée l’écrivain proteste contre une forme théâtrale de l’époque : « Pourquoi les tableaux vivants par exemple, si artistiquement exécutés qu’on les suppose, reproduisant exactement, à s’y méprendre, tel chef-d’oeuvre – sont-ils toujours une turpitude artistique ? Or le théâtre est-il autre chose qu’un tableau vivant qui parle ? Il est certain que le théâtre est une méprise – un solécisme perpétuel au milieu de notre art d’aujourd’hui – une rétro gradation aussi inacceptable que les idoles des anthropophages africains dans un musée de sculpture. » Pour lui, rien d’artistique dans ce genre, réduit à « la production de l’artificiel par la nature même, c’est-à-dire l’inverse de ce qu’il faudrait, comme le serait une statue en chair ou en graisse[1]1 ». Et pourtant, Maeterlinck, en voulant se démarquer du tableau vivant, s’en empare à sa façon en développant le théâtre statique. En effet, « le tableau vivant, avant d’être vivant justement, se présente essentiellement comme une image muette : s’il est vivant, c’est d’une vie silencieuse (…)». Cette « turpitude » possède en elle les germes de subversion de la dramaturgie traditionnelle. Et Maeterlinck s’y attelle, transformant le temps du drame en celui d’une action arrêtée par le temps, comme c’est le cas dans Intérieur, La Princesse Maleine, Pelléas et Mélisande.
Douze autres auteurs apportent leurs contributions à cette étude. Sont déclinés les motifs spatiaux tels que l’insularité réelle ou symbolique des lieux, l’ophélisation générale – sur fond d’eau, de noyade et de chevelure –, les seuils interdits ou invitants. Au début du 20ème siècle, les théâtres, l’opéra et le cinéma naissant contribuent à propager
l’œuvre de Maeterlinck de façon fulgurante en Amérique et en Europe et enfin au Japon où elle fut traduite très tôt, suite à « la parenté que ce théâtre présente avec les pratiques du nô, et aux échos aquatiques que l’imaginaire maeterlinckien a pu susciter au Pays du Soleil Levant » (Mariko Anazawa). De manière nécessairement partielle, mais critique et documentée, ce numéro explore la controverse de l’étrange actualité de l’écrivain, ou de son inactualité.
Anne van Maele
[1] Maurice MAETERLINCK, Carnets de travail (1881-1890), édition établie et annotée par Fabrice Van De Kerkhove, Labor / AML, 2002, p. 1110-1113.
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°172 (2012)