Les 75 ans de l’Académie

academie royale

Le palais des Académies

Trois quarts de siècle, à peine : notre Académie est toute jeune si on la compare à sa consœur française, fondée en 1666. Mais ces années furent décisives dans la vie de nos Lettres, et nombre d’académiciens y jouèrent un rôle important. Comment cela a-t-il commencé ?

Quand on parle de l’Académie, il ne faut pas confondre. Sans même rappeler l’Académie de Montbliard, fondée « vers 1955 » par Pol Bury et André Balthazar, d’où surgira, bouillonnante et fière, la pensée bul, il faut en distinguer au moins une autre. Celle qu’on appelle la Thérésienne, du nom de sa fondatrice, Marie-Thérèse d’Autriche, fut instituée par lettres patentes du 16 décembre 1772. Dans une perspective encyclopédiste, l’Académie impériale et royale des Sciences et des Belles-Lettres de Bruxelles rassemblait tous les grands esprits du temps et bénéficiait de privilèges appréciables, tel celui de publier ses travaux sans devoir les soumettre préalablement à la censure. L’activité de cette société savante fut interrompue en 1794, jusqu’à la fin de l’occupation française. En 1816, le roi Guillaume Ier des Pays-Bas rétablit la Compagnie dans ses droits. Elle subira une réforme profonde en 1845, sous Léopold Ier, pour s’appeler désormais Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts. L’institution existe toujours sous cette forme.

Si les gens de lettres avaient déjà leur place dans une académie, quel besoin éprouvait-on d’en inventer une seconde ? C’est qu’en un siècle et demi, le sens des mots s’était infléchi et que la notion de littérature avait gagné une importance neuve, qui conférait aux écrivains de fiction une aura particulière. En un mot comme en cent, la Classe des Lettres, dans l’Académie, accueillait presque exclusivement des lettrés, spécialistes de la langue ou de l’Histoire, quand il aurait fallu mettre en avant des artistes, et en particulier toute cette génération d’auteurs à qui le mouvement des Jeunes Belgique, dans les années 1880, avait donné une impulsion fondamentale, et dont quelques-uns, comme Verhaeren ou Maeterlinck, avaient acquis une célébrité mondiale.

Enfin Jules Destrée vint…

En 1920, Jules Destrée était ministre des Sciences et des Arts, un poste qui incluait l’Éducation publique. Par son engagement social comme par l’intérêt constant qu’il avait manifesté pour les créateurs, l’homme jouissait d’un singulier prestige. Son image de défenseur de la veuve et de l’écrivain est à présent ternie par la mise en évidence de son antisémitisme, mais son époque – comme aussi nombre de ses contemporains – s’en accommodait, semble-t-il, de même qu’elle avait accepté les propos racistes d’un Lemonnier ou d’un Picard. Destrée était par ailleurs l’auteur d’une œuvre considérable, forte non seulement d’essais politiques (comme la fameuse Lettre au roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre, de 1913), mais aussi de critiques d’art (sur les Primitifs italiens, les arts anciens du Hainaut…) et de nouvelles et de récits. Nul n’était mieux placé que lui pour réfléchir aux moyens de doter les écrivains d’une institution qui les accueillît officiellement.

On aurait pu ménager les statuts de l’Académie thérésienne, pour qu’elle accorde une plus grande place aux poètes et aux romanciers, en créant par exemple en son sein une quatrième classe réservée à cet effet. Mais, consultée sur la question d’un élargissement de ses rangs, la Compagnie fit savoir qu’elle préférait qu’une nouvelle institution fût fondée de toute pièce. Destrée n’allait dès lors pas tarder à adresser un rapport au Roi Albert Ier, pour lui proposer la création de l’Académie royale de langue et de littérature françaises, dont les statuts seront promulgués par un arrêté du 19 août 1920. La tâche du ministre des Sciences et des Arts fut facilitée par l’accroissement extraordinaire dont avait bénéficié son budget à la fin de la guerre : de vingt-cinq millions de francs en 1914, il était passé à près de deux cent millions. Jules Destrée disposait donc de moyens à la mesure de son ambitieuse politique culturelle, qui traduisait ses préoccupations sociales (il s’intéressa notamment à la question des bibliothèques publiques et fit de l’obligation scolaire pour les enfants une réalité) et qui allait lui permettre d’œuvrer aussi en faveur des Lettres.

Enfin, les écrivains belges auraient une chance d’être élus à l’Académie ! Les francophones, du moins, car leurs confrères flamands n’avaient pas dû attendre si longtemps : depuis 1886, ils pouvaient siéger au sein de la Koninklijke Academie voor Taal- en Letterkunde, installée à Gand.

Pas comme les autres

À vrai dire, les premiers académiciens ne furent pas élus, mais désignés par le Roi, parmi les lauréats des prix quinquennaux et triennaux de littérature. Iwan Gilkin, Georges Eekhoud, Auguste Doutrepont, Albert Giraud, Fernand Séverin, Hubert Krains, Paul Spaak, Jules Feller, Maurice Wilmotte, Albert Mockel, Jean Haust, Maurice Maeterlinck, Henry Carton de Wiart et Gustave Vanzype : ce premier noyau de quatorze membres fut chargé d’en coopter vingt-six autres, écrivains ou philologues, tant belges qu’étrangers. Car une belle originalité de cette académie nouvellement constituée est qu’elle n’est pas réservée aux seuls nationaux. L’un des premiers sans doute, Jules Destrée eut l’intuition de ce qu’on allait baptiser la Francophonie. « La langue française dépasse singulièrement les frontières de la France, affirmait-il dans son discours inaugural. Non seulement dans les pays de la latinité, Italie, Espagne, Roumanie, mais encore à Prague, à Varsovie, à Stockholm, en Suisse et au Canada, elle a ses fidèles et des gens pour la comprendre, la garder et l’honorer ». En fonction de ce principe, l’Académie se devait d’accueillir dix membres étrangers : Colette puis Cocteau, Italo Siciliano ou Julien Green, Mircea Eliade ou Georges Duby furent élus à ce titre, comme Marguerite Yourcenar ou encore, paradoxalement, Dominique Rolin, née à Bruxelles mais naturalisée française.

Une autre caractéristique de notre Académie, qui la distingua longtemps de sa consœur française, c’est que son statut n’exclut pas les femmes. Anna de Noailles fut la première élue, dès 1921 ; Marie Gevers, Suzanne Lilar en firent partie ; Liliane Wouters, Françoise Mallet-Joris y siègent aujourd’hui.

Une dernière particularité de la Destréenne est la place qu’elle accorde aux philologues et aux linguistes, à qui un quart des sièges est réservé. Louis Remacle (le doyen des académiciens – il fut élu en 1948), Joseph Hanse, Ferdinand Brunot, Mario Roques… Quelques-uns des meilleurs spécialistes de la langue ou des dialectes romans ont été amenés à siéger à Bruxelles, et à y donner leur avis sur des questions parfois controversées, comme ce fut récemment le cas pour la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre : oui, en Belgique, on peut dire Madame la Directrice sans qu’on la confonde avec l’épouse du Directeur…

Il y aurait encore beaucoup à raconter sur cette jeune Académie de 75 ans. Dans l’entretien qu’il nous a accordé et qui clôt ce dossier, Jean Tordeur nous explique comment on y travaille et quel rôle elle joue aujourd’hui. Quant à son histoire, il faudrait tout un livre pour en évoquer les points forts – mais ce livre va paraitre, en décembre, grâce à la collaboration de Jacques De Decker, Jacques Cels et Vincent Enfel, qui se sont attachés chacun à une période de 25 ans. Il faudrait aussi un album souvenir : l’Académie en publiera un prochainement, agrémenté des portraits de tous ceux qui la composèrent. La personnalité complexe de Jules Destrée, son fondateur, mérite enfin d’être rappelée : le journal qu’il a tenu entre 1882 et 1887, inédit jusqu’ici, sortira bientôt de presse, en même temps qu’une étude consacrée à son œuvre par Raymond Trousson, Philippe Jones et Henri Dumont.

Pour notre part, nous nous sommes amusés à rechercher, chez les écrivains, quelques textes relatifs à l’Académie ou à ses membres. Sympathiques ou féroces, voire violents, ils dressent à leur manière un portrait tout en langue et en littérature.

Carmelo Virone

 

Un florilège pour l’Académie

« Un jour je n’entrerai pas à l’Académie » (Achille Chavée,  À cor et à cri, Labor)

« (…) Devant vous, je me retrouve le petit garçon de jadis et je ne peux m’empêcher d’éprouver le respect admiratif que je vouais aux grandes personnes » (Georges Simenon, Discours de réception à l’Académie)

« (…) Je suis doublement touché de l’honneur que me fait l’Académie. D’abord, quand on habite à l’autre bout de la planète, les marques d’appréciation qu’on peut recevoir de son pays natal acquièrent un prix tout particulier, je vous assure. En second lieu, le fait que ce soit au fauteuil de Georges Simenon que l’on m’ait élu, semble conférer un lustre supplémentaire à cette distinction. Sur ce dernier point, toutefois, si je suis très sensible à la générosité de mes confrères, croyez bien que je ne me fais aucune illusion : les successions académiques sont quelquefois remarquables par leur absence d’esprit de suite, et c’est quand on a le privilège de succéder à un écrivain de génie que l’on peut le mieux apprécier leur inconstance. » (Simon Leys, Discours de réception à l’Académie)

« [Ma nomination à l’Académie royale de Belgique] m’a beaucoup touchée parce que c’est en remplacement de maman. Ce n’est pas n’importe quelle nomination. […] D’ailleurs, si j’ai repris ma nationalité, c’était pour le cas où un jour les membres de l’Académie royale m’appelleraient parmi eux. Je voulais y être en tant que Belge. Y être à titre étranger aurait été une véritable absurdité. » (François Mallet-Joris, entretien avec Michel Zumkir, Le Carnet et les Instants n°82)

« Réception à l’Académie, salle immense pleine de monde. J’y arrive avec une petite valise que je pose sur le parquet puis ouvre car je n’ai pas eu le temps de m’habiller comme il faut. (…) Les Académiciens ont une réunion dans une pièce à côté. Certains arrivent en retard (…) : d’abord un centenaire à barbiche cassé au niveau de la taille avançant comme une marionnette, bientôt suivi par un de ses collègues sortant d’une limousine de luxe : il a les dimensions et le corps soyeux d’un cachalot et la tête d’un rat géant, il rampe et tourne la tête en tous sens, l’œil brillant et rond, vêtu de l’habit vert. (…) Tout à coup je me dis qu’il serait juste que j’entre aussi dans la salle voisine puisque je suis également Académicienne. J’entrouvre la porte : ils sont réunis en un grand cercle parfait, dans leur bel uniforme, serrés les uns contre les autres, et le regard fixé sur le centre du cercle. Je ressors toute confuse, songeant ‘je ne suis qu’une Académicienne belge, ceux-là sont de l’Académie française, j’allais gaffer !’ » (Dominique Rolin, Trains de rêves, Gallimard)

« (…) Depuis L’œuvre au noir, il me semble que je suis ‘de chez vous’ un peu plus qu’autrefois, et j’ai comme le sentiment qu’on vient d’élire à l’Académie de Belgique non pas tellement moi, mais un ami très cher, qui est Zénon. » (Marguerite Yourcenar, lettre à Louise de Borchgrave, septembre 1970, Gallimard)

« L’Académie ! Cela ne m’amuse pas outre mesure, mais je profite de cette occasion pour montrer à mes compatriotes que je suis resté des leurs. » (Georges Simenon, lettre à Maurice Garçon, 25 octobre 1975. Cité par Pierre Assouline, Julliard)

« D’expérience, je puis attester que j’ai découverte en ce cénacle littéraire où j’ai eu la bonne fortune d’être appelé il y a trente-trois ans un lieu de relations humaines non seulement confraternelles, mais aussi, je l’ai éprouvé en plus d’une circonstance grave, fraternelles. Si les poètes font une race irritable, si la philologie est une science qui dessèche l’humeur autant que les textes, ce que j’en avais entendu dire s’est trouvé curieusement démenti par le commerce que cette longue fréquentation m’a donné de cultiver avec des gens d’esprit et de cœur. » (Marcel Thiry, discours du cinquantième anniversaire de l’Académie)

« (…) Quant à Carlo Bronne, qui est un brave garçon, un homme probablement intelligent, je l’ai pris comme le prototype de l’académicien belge, ces gens qui ont tout lu, tout compris, qui sont avocats, juges, romanciers, critiques et qui du haut de Sainte-Gudule… (…) J’espère qu’ils croiront tous que je viens humblement les remercier du grand honneur… que… moi indigne… et tout et tout… pauvre auteur de romans policiers qui… » (Georges Simenon, lettre à Doringe, 1er mars 1952. Cité par Pierre Assouline)

« Qu’il [Marcel Thiry] fût Académicien allait être ma chance, et, par-dessus le marché, qu’il le fût, me semble-t-il, avec assiduité, (…) Marcel Thiry avait accepté la charge de secrétaire de l’Académie, et si l’adjectif perpétuel lui venait aux lèvres, ce n’était jamais sans le faire sourire. (…) Mon école était à dix minutes de son bureau. Il m’y arrivait parfois un coup de fil. « Êtes-vous libre… ? » (Je lui avais donné mon horaire et souligné en rouges les heures creuses.) Je partais. Le bureau, selon l’heure et le temps, était plus ou moins sombre, la lumière de la lampe plus ou moins claire. Nondum Jam Non : il m’en reste un souvenir de discussions animées, dont la forte cérébralité cachait, et parfois cachait mal, l’émotion que peuvent véhiculer les thèmes ‘existentiels’. » (Gaston Compère, préface à Comme si, Voie lactée, Nondum jam non de Marcel Thiry, Le Cri)

« Tout dire ! Tout parler ! Oser ! Tout écrire ! Tout sembler réussir pour mieux finir par tout rater ! Tout échouer et en rire ! Tout oser !
L’Académie ! Vingt cadavres debout discutent de l’orthographe exacte du mot macchabée ! Vingt autres Membres, déturgescents, se livrent à de savants calculs de probabilités sur les chances de survie du point d’interrogation final ! Puisse-t-il leur être fatal ! Tout pue, jeunes gens ! » (Jean-Pierre Verheggen, Ridiculum Vitae, La différence)

(À propos de l’entrée de Colette à l’Académie) : « Maurice Martin du Gard, témoin de la réception, raconte la stupeur des graves messieurs qui l’ont élue, quand elle pénètre dans le palais du prince d’Orange, vêtue d’un tailleur de soie noire cirée, d’un chemisier de satin blanc et noir, mais les pieds nus aux ongles laqués d’un rouge vif, dans ses sandales tropéziennes, seules chaussures qu’elle supporte, en toutes circonstances, depuis sa fracture. » (Geneviève Dormann, in Amoureuse Colette, Herscher)

« (…) J’ai l’impression que les militantes féministes d’aujourd’hui extrapolent les idées et les conditions présentes en parlant de la condition fort basse de la femme française d’autrefois. Mme Du Deffand n’a certes jamais pensé à entre à l’Académie : elle avait son salon où elle rassemblait les académiciens et sans doute en faisait à sa guise. » (Marguerite Yourcenar, in Les yeux ouverts, entretiens avec M. Galley, Gallimard)

« (…) Quant aux écrivains belges (…) on évite sagement de les couvrir d’or, mais on est décidé à les couvrir d’honneurs. On ne leur permet pas de vivre, on en fait des académiciens. Quelle sonsolation, Mesdames et Messieurs ! » (Albert Mockel, Conférence inédite de 1920, Archives et Musée de la littérature, Fonds Mockel)

Compilation : Alain Delaunois, Françoise Delmez, Carmelo Virone

 

Jean Tordeur : la charge du secrétaire perpétuel

jean tordeur

Naitre l’année où fut fondée l’Académie prédispose-t-il à en devenir le Secrétaire perpétuel ? On pourrait le croire en pensant à Jean Tordeur, qui a fêté lui aussi en 1995 son 75e anniversaire. Celui qui fut longtemps rédacteur en chef des pages culturelles du journal Le Soir a publié en 1964 un recueil intitulé Le conservateur des charges. Serait-ce une définition poétique de la fonction ?

Le Carnet et les Instants : Comment devient-on Secrétaire perpétuel de l’Académie ?
Jean Tordeur :
Par cooptation. Le mandat du Secrétaire s’achève obligatoirement à la fin de l’année au cours de laquelle il a célébré son 75e anniversaire. Dans les mois qui précèdent, les académiciens se concertent pour évoquer sa succession. On approche l’un ou l’autre membre, pour savoir s’il accepterait cette charge. Il y a généralement une nomination dans l’air… Au mois de novembre se déroule le vote qui désigne le nouveau secrétaire… temporairement perpétuel.

Mais cette charge est loin d’être honorifique ?
Elle exige énormément de travail. En fondant l’Académie, Jules Destrée a prévu qu’elle se pourvoirait en personnel, mais sans lui donner les moyens d’engager beaucoup de monde. Sans doute a-t-il pensé qu’une académie de littérateurs, comme on disait encore à cette époque, n’avait pas besoin d’un grand cadre administratif. De ce fait, le Secrétaire perpétuel est amené à tenir plusieurs rôles : chef du personnel, directeur administratif, représentant de l’Académie dans une série de manifestations ou d’actions, officier de presse, directeur de collection, et j’en passe. Il faut donc qu’il ait la volonté bien arrêtée de se vouer intégralement à cette fonction-là, et d’en tirer les conséquences quant à son horaire et à sa résistance.

L’Académie choisit aussi un Directeur et un Vice-Directeur, désignés pour un an. Quelles sont leurs fonctions ?
Avec le Secrétaire perpétuel, ils forment le bureau de l’Académie qui gère la vie de l’institution. Par ailleurs, il existe aussi une commission administrative, qui se réunit deux fois par an et qui traite des problèmes qui peuvent se poser en matière de personnel, de budget, de relations publiques, de participation à des manifestations extérieures… Cette commission comprend le bureau et un membre de chacune des deux sections.

Et votre travail à vous, précisément ?
Je m’occupe en premier, avant le bureau et la commission administrative, de toutes les tâches que ces deux organes, et à travers eux l’Académie, peuvent avoir à traiter. J’organise notamment le train des séances mensuelles. Elle se tiennent le deuxième samedi du mois, à trois heures de l’après-midi, quand la ville est calme. Elles nous permettent chaque fois d’entendre la communication d’un de nos membres – communication très souvent suivie d’un long échange de vues. En même temps, nous examinons ce qui compose l’ordre du jour : rapports avec l’administration de la culture, avec le pouvoir communautaire, avec les académies étrangères…
Lorsque j’ai pris mes fonctions, le 1er janvier 1989, l’Académie se trouvait devant une situation neuve : elle ne dépendait plus de l’État central mais de la Communauté française de Belgique, qui devait dès lors reprendre à son compte les engagements que le pouvoir national avait tenus à son égard depuis 1920, en assurant notamment sa dotation.
Les institutions étaient nouvelles, les hommes également : il a fallu informer les différents niveaux de pouvoir, l’administration, le législatif (le Conseil de la Communauté) ou l’exécutif, Ministre-Président ou Ministre de la Culture, de l’existence et du rôle de l’Académie, pour qu’elle puisse occuper la place qui lui revient dans la configuration politique et culturelle d’aujourd’hui.
J’ai aussi essayé d’ouvrir l’Académie vers l’extérieur, par des initiatives en matière d’édition, de francophonie… Ce que j’ai cherché à faire entendre, durant les sept années de mon mandat, c’est que l’Académie n’est pas une institution sclérosée ou autoritaire mais qu’elle représente au contraire des lieux où la littérature est vivante : à travers ceux de ses membres qui sont des écrivains, bien sûr, mais aussi par son action spécifique.
D’une part, elle gère vingt-six fondations créées en son sein par des mécènes pour qu’elle institue des prix littéraires couvrant tous les domaines de l’expression : prose, poésie, essai, théâtre… Ces prix n’ont pas assez de retentissement public, malheureusement, mais ils sont souvent allés à la rencontre de la littérature nouvelle. Nous en avons même un, réservé aux poètes âgés de moins de 25 ans, qui a distingué très tôt des auteurs aujourd’hui confirmés comme Yves Namur ou Eugène Savitzkaya. D’autre part, notre attention à la vie des lettres se manifeste à travers le Fonds national de la Littérature, qui accorde des subsides aux auteurs pour les aider à publier leurs œuvres.

Comment doit-on procéder pour en bénéficier ?
Il faut d’abord envoyer son manuscrit à l’Académie : il sera lu par une commission de trois lecteurs (une commission qui comprend toujours un ou deux académiciens et une personne au moins qui n’est pas de l’Académie). Ils établissent un rapport de lecture. Si le manuscrit obtient deux avis positifs, la commission détermine le montant d’un subside qu’on lui attribuera. En cas d’hésitation, la commission tranche au terme d’une discussion ou, éventuellement, décide de recourir à un arbitrage pour la séance suivante.
Il y a cinq séances de commission de lecture par an, où sont examinés chaque fois une vingtaine de manuscrits : soit une centaine d’œuvres au bout de l’année, qui témoignent de l’ouverture du Fonds national de la Littérature aux écritures les plus diverses. Par exemple, nous avons aidé Kalisky, Della Faille mais aussi Paul Nougé ou la revue Phantomas et des écrivains qui gravitaient autour d’elle.
Les rapports de lecture ne sont pas communiqués aux auteurs, mais il arrive qu’ils débouchent sur une invitation à retravailler un texte. Je peux dire : votre manuscrit m’intéresse, j’aimerais vous rencontrer pour que nous en discutions.

Parmi les activités de l’Académie, l’édition a son importance.
Quand je suis arrivé à mon poste, le catalogue des éditions comportait déjà une bonne centaine de titres, répartis entre l’histoire ou la critique littéraire, la philologie, la bibliographie. Depuis quatre ans ont été créées deux collections de poche, qui en sont aujourd’hui à seize titres.
L’un des problèmes que nous rencontrons pour ces livres est celui de leur commercialisation. Sans doute n’attirent-ils pas le grand public, mais ils mériteraient une plus grande diffusion – ce qui commence à être fait par la Libraire Wallonie-Bruxelles, dont le rôle est primordial.

Vous éditez aussi un Bulletin ?
Oui, deux fois par an Il reprend les communications de nos membres, les discours de réception, etc. Ce sont souvent des textes d’un grand intérêt littéraire, critique ou philologique.

Le public peut-il se le procurer ?
Il suffit de s’abonner, en téléphonant à l’Académie.

Vous assurez aussi la publication de la bibliographie des écrivains de Belgique, dont quatre tomes ont déjà paru. Où en est-on aujourd’hui ?
À la fin de la lettre S. Il faudra sans doute consacrer un volume entier à l’œuvre de Simenon. Il restera encore trois tomes à publier, sans compter que pour les anciens, il faudra un jour ou l’autre ajouter la bibliographie des trente dernières années. Cet outil est capital, mais il est beaucoup plus développé en Flandre que dans la Communauté française. Nous vivons en fait une situation absurde, puisqu’aujourd’hui nous sommes censés continuer cette œuvre avec un seul chercheur, Jacques Detemmerman : une mission impossible. Il faudrait que nous disposions des services d’un second romaniste et d’un crédit considérable. Savez-vous que nous n’avons même pas de budget d’édition spécifique pour ces ouvrages ?

Carmelo Virone


Dossier paru dans Le Carnet et les Instants n°90 (1995)