Qui, aujourd’hui, se souvient d’un obscur petit écrivaillon né voilà tout juste 100 ans, et mort… mort… quand donc? Trop tard en tout cas, beaucoup trop tard. C’est du moins ce qu’elle vous dirait – elle, car il s’agit d’une écrivaine comme le disaient en ces temps lointains nos cousins du Québec – si elle était en état de dire encore quoi que ce soit. Mais depuis 30 ans, 40 peut-être, elle a disparu, complètement disparu. LA dernière trace qu’on ait d’elle remonte à l’année 1997, quand elle a publié sa troisième œuvre de fiction, un recueil de nouvelles. Cela s’appelait Instants de femmes, je crois. Après plus rien. Le silence. Certains prétendent qu’elle s’en est allée à la recherche de ses racines africaines, et n’a jamais refait surface. Pour d’autres, elle aurait été assassinée par l’un des sept acheteurs de son dernier livre, déçu par une prose dont nous ne pouvons rien dire, tous les exemplaires de cet ouvrage ayant disparu, eux aussi. Certains prétendent que Liliane Schraûwen aurait été internée comme le personnage de son second roman (Briser la fenêtre), d’autres affirment qu’elle vit encore, sénile et solitaire, murée dans un silence dont elle n’aurait jamais dû sortir. Pour quelques-uns, elle se serait suicidée après la parution de son dernier livre, traumatisée sans doute par le silence de la critique. Voilà pourquoi, 50 ans plus tard, j’ai eu envie de consacrer quelques lignes à ce petit auteur inconnu. Non pas que j’apprécie son œuvre : je ne l’ai jamais lue. Personne, aujourd’hui, ne l’a lue. et même à son époque, elle n’a pas fait beaucoup de bruit. Mais enfin, elle a vécu, cette femme. Un ancien numéro du Carnet nous parle d’elle, il y a même une photo. Elle a vécu, elle a écrit, elle a disparu. Comme nous tous, comme toi lecteur, comme moi demain. Voilà pourquoi j’ai eu envie de la réinventer pour vous, en cet an de grâce 2046. Parce qu’elle est notre sœur, notre mère, notre aïeule, vie perdue, mort oublié, âme ignorée…
Liliane Schraûwen
texte paru dans Le Carnet et les Instants n°100 (1997)