Maeterlinck, l’âme et Saint-Denis

maeterlinck pelleas et melisande

Du 19 janvier au 22 février, le Théâtre Gérard-Philippe de Saint-Denis, centre dramatique national en région parisienne, présentait Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck dans une mise en scène d’Alain Ollivier, directeur du théâtre. Retour sur la réussite d’un projet audacieux – salué par la critique et le public – avec Daniel Jeanneteau, scénographe du spectacle, collaborateur fidèle de Claude Régy qui fit redécouvrir Maeterlinck au public français.

Le Carnet et les Instants : La programmation de cette pièce à Saint-Denis comportait-elle une part de risque ?
Daniel Jeanneteau
 : Dans ce théâtre de banlieue avec une population extrêmement mêlée, une situation sociale difficile, pas mal de gens posaient la question : « Pourquoi monter cette pièce ici ? N’est-ce pas un choix élitiste ? » Le retentissement du spectacle auprès de la population de Saint-Denis contredit toutes les idées préconçues. L’intuition d’Alain Ollivier de la pertinence de monter cette pièce ici était juste, elle venait d’une confiance dans le public. De plus en plus de directeurs de théâtre disent à propos d’une œuvre : « ce n’est pas pour mon public ». Ce type d’attitude est assez dangereux.

Pourquoi ce succès selon vous ?
Le public est sensible au fait que Maeterlinck, à travers la grande subtilité de son écriture et ce qu’elle contient d’abstrait et d’immatériel, reste dans les structures simples et archaïques du conte. La narration est extrêmement dépouillée, reposant sur des actes concrets d’une grande sensualité sur lesquels viennent se greffer des situations qui ne sont pas élucidées et qui parlent d’une façon immédiate à l’inconscient dont Maeterlinck a eu l’intuition avant les théorisations freudiennes. Le siècle passé a cherché à déconstruire les formes traditionnelles et les formes archaïques pour inventer la modernité. Ce travail, essentiel, a néanmoins découragé une grande partie du public de s’y intéresser, n’y trouvant plus l’écho de sa propre vie.
Le premier théâtre de Maeterlinck saisit de façon simple et perceptible la complexité de l’âme humaine avec la lumière du merveilleux souvent habitée par la mort et l’angoisse, jamais d’une façon complaisante, avec beaucoup de profondeur. Tout le monde a une âme dans un monde qui le reconnait de moins en moins et essaie de nous réduire à des fonctions très limitées comme celles de consommateurs. Il n’y a pas eu beaucoup d’époques dans l’histoire de l’humanité où des sociétés entières ont été à ce point soumises à des modes de pensée et à des structures de comportement sciemment construits.

Comment la modernité du texte s’est-elle incarnée sur la scène ?
Toute écriture théâtrale comporte sa propre physique par sa prosodie, la succession de mots, les sonorités, les allitérations. Maeterlinck a inventé une nouvelle écriture du français, non réaliste, non psychologique, pour son théâtre. Alain Ollivier et les comédiens se sont placés devant l’œuvre et ont observé comment ils étaient traversés par cette matière de l’écriture.
Quant à la scénographie, c’est la lecture du lieu tel qu’il est. Le lieu est très beau ici, mélange de ruines, d’espace métamorphosé, de restes d’une mémoire. C’est un théatre qui a une morphologie tout à fait particulière qui peut faire penser à un vieux château en ruines.

Dans cette pièce, il y a l’omniprésence de l’eau qui est associée à un univers féminin. Ce sont des affinités qu’on pressent en lisant la pièce, d’où l’idée d’occuper l’ensemble du plateau avec de l’eau contenant un peu de sable, sans recours à un symbolisme trop manifeste.

Pierre Vanderstapen


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°132 (2004)