Lectures fraiches d’un vieux Nobel

Maurice Maeterlinck

Maurice Maeterlinck

L’auteur de Pelléas et Mélisande peut-il encore intéresser des adolescents ? On le croira volontiers, au vu de l’expérience dont témoignent ci-dessous Colette Nys-Mazure et Michèle Vilet.
Au commencement, une initiative du directeur du Centre théâtral de la Sorbonne : se mettre à l’écoute des jeunes d’aujourd’hui confrontés au texte de théâtre.
Contacté, Francis Houtteman, directeur du Créa-Théâtre, acteur et metteur en scène, a proposé à trois groupes différents (un groupe scolaire, un groupe d’amateurs et un groupe mixte) de Tournai d’entreprendre des ateliers autour de quatre pièces courtes de Maurice Maeterlinck, débarrassées de toute didascalie pour laisser pleine liberté au lecteur vierge.

Au programme du cours de français de sixième est traditionnellement inscrit « le Théâtre », à intégrer aujourd’hui dans un « parcours » qui aille de la théorie à la pratique, de l’écrit à l’oral, du texte au sens restreint à celui pris au sens étendu.

Il s’agit donc de réfléchir à la spécificité de ce genre littéraire par rapport aux autres, de brosser une histoire des courants et des noms qui l’ont marqué, d’étudier une pièce de façon exhaustive (cette année Pelléas et Mélisande de Maeterlinck) et de faire présenter par les élèves regroupés de larges extraits des Anciens et des Modernes qu’ils mettront en scène et joueront. Par ailleurs, de nombreux spectacles proposés par la Maison de la Culture de Tournai donnent lieu au plaisir d’être spectateur mais aussi auteur d’articles critiques et autres exercices écrits ou oraux. « Le Théâtre » est donc abordé sous différentes facettes par toute la classe.

Cette année, Francis Houtteman nous a invités à participer à un atelier Théâtre centré sur quatre pièces moins célèbres de Maeterlinck : Les aveugles, La mort de Tintagiles, Intérieur et L’intruse. Chaque vendredi, en sortant de huit heures de classe, dix volontaires et moi, nous rejoignons le Créa-théâtre, lieu magique au cœur de la ville : exercices de relaxation et de concentration, improvisations, lecteurs à table, progression dans l’intelligence du texte, jeu… alternent au cours de ces après-quatre heures, complétés par trois weekends de formation avec des spécialistes. Le tout en vue d’une grande rencontre à Bussang, dans les Vosges, pendant le congé d’Ascension, afin de confronter notre pratique à celle d’autres groupes de théâtre.

L’intérêt d’une telle expérience saute aux yeux : chacun progresse dans la connaissance de soi, de son rapport à l’espace et au(x) partenaire(s), au texte. Celui de Maeterlinck est mystérieux, elliptique, apparemment très éloigné des préoccupations contemporaines. Il s’agit de refuser les effets faciles pour s’imprégner du climat d’attente et d’inquiétude qui le baigne, pour enraciner la symbolique…

Les bénéficiaires de cet atelier ont toutes les chances de devenir des spectateurs plus avertis et des comédiens plus authentiques.

Professeur-animatrice, j’ai le bonheur de participer à l’aventure et je mesure à quel point cet atelier est un complément nécessaire au travail scolaire.

Colette Nys-Mazure

Une classe de cinquième primaire, vingt filles et garçons de dix ou onze ans, une classe de sixième secondaire, dix filles et garçons de dix-sept à dix-neuf ans. Redécouvrir les fonctions du théâtre hors de la représentation théâtrale.

Depuis six mois, voilà que des filles et des garçons, des jeunes, des professeurs, des instituteurs pratiquent des techniques théâtrales.

S’il est vrai qu’il apparait curieux de réaliser des exercices pour le plaisir des exercices avec comme objectif principal la volonté de donner la parole aux enfants et aux jeunes, cet objectif se fond très vite dans d’autres réalités : l’individu, le groupe, la classe et tous les rapports.

Mais ce qui me touche le plus dans cette recherche, c’est l’intelligence qui se dégage à partir de l’imaginaire, et la prise de conscience de l’autre au travers d’un groupe. De l’intelligence à partir de notre imaginaire : ne plus appuyer notre raisonnement sur la simple connaissance et sa logique mais sur l’intelligence jaillissante des confrontations entre l’imaginaire et la réalité : intelligence du cœur, intelligence de l’instinct et du réflexe.

Compréhension induite par le corps, les perceptions sensorielles, et l’esprit au service ou en accord avec les perceptions.

Voilà pour ma part une redécouverte, que les enfants et les jeunes m’ont apportée.

D’où l’intérêt d’être extérieur, d’aider à faire naitre ces moments d’intelligence qui font grandir l’individu et le groupe avec lequel il vit.

L’intérêt d’être extérieur pour réapprendre à être à l’écoute infiniment, objectivement, avec juste ce qu’il faut de subjectivité pour ne pas brouiller les pistes mais tenter de les éclairer par d’autres moyens que le raisonnement.

Comment ils apprécient les textes de Maeterlinck ?

Ambiance spéciale, à fleur de peau, richesse de cet univers poétique, intrigant, assez proche de nous, disent Johan et Sébastien. C’est parfois déprimant d’être toujours dans ce climat de mort, dit Françoise. Et Bruno : « Belle approche de l’angoisse devant la mort, mais je ne puis changer ma nature : j’aime la dérision. Je suis persuadé de la valeur pédagogique de l’humour à tout prix, mais réfléchi. Maeterlinck avec un bonnet à clochettes aurait été intéressant ».

Ils se trouvent tous les six unanimes à regretter que le groupe ne soit jamais au complet lors des répétitions, que cela crée des tensions, un rythme de travail ralenti, des coinçages divers.

« L’ambiance sérieuse et solennelle énerve ceux qui viennent pour s’éclater, dit Bruno, je les comprends mais je respecte le travail ébauché ».

Quant à moi, je dis : faire du théâtre, c’est accoucher de soi-même, sortir de son engourdissement, vaincre le trac de devoir faire face. « On ne peut pas être n’importe comment sous le regard du public. Ce regard est une véritable exigence qui demande que rien ne soit gratuit, rien dans la mollesse, tout dans l’éveil » (Peter Brook). Or, les enfants ont besoin d’enseignants éveillés, portés par une expérience, une passion.

Mettre en scène les textes de Maeterlinck est un exercice difficile et parfois je frémis. Car je sais les jeunes aimantés par le style parodique, l’humour, la dérision, leur langage favori pour apprivoiser les grandes émotions. Avec L’intruse, Tintagiles, Intérieur, Les aveugles : prise directe sur l’émotion, l’insoutenable vérité. Des rires libérateurs surgissent souvent, à juste titre, et la perturbation nous mange un temps précieux. Mais, dès que ces jeunes comédiens s’investissent dans la répétition, s’ils sont mis dans de bonnes conditions de calme, d’intériorité et d’écoute, c’est miracle de les voir trouver le geste, le rythme, le ton justes. La poésie surgit d’eux.

Dans le théâtre amateur, scolaire, le climat propice à la répétition est fragile, délicat. Il faut l’établir avec soin.

Alors, le plaisir du jeu apparait. C’est ce que nous attendons tous.

Michèle Vilet


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°83 (1994)