René Magritte, Écrits complets

Ceci est une somme

René MAGRITTE, Écrits complets, édition établie et annotée par André Blavier, Flammarion, coll. « Écrits d’artistes », 2009

magritte ecrits completsRené Magritte n’a pas écrit de « livre » à proprement parler. Mais il a essaimé, en parallèle à son activité picturale, une multitude de textes qui, à eux tous, fournissent comme l’humus de son art et sont autant de lumières fondamentales pour comprendre sa démarche créatrice, ses conceptions esthétiques et son rapport au monde. En 1978, André Blavier publiait un recueil de ces textes, mis ainsi à la portée de tous. De tous les spécialistes et amateurs éclairés devrait-on préciser, car cette somme, pour irremplaçable et précieuse qu’elle soit à leurs yeux, ne saurait toucher le « grand public », certes sous le charme d’une œuvre popularisée par l’industrie du poster et de la carte postale mais, au fond, peu soucieux de connaitre le sens et les conditions d’émergence de ce qu’il contemple.

André Blavier, dans une introduction claire, concise, et d’une fine élégance stylistique, définit son corpus, l’ordonnancement des textes et la manière dont chacun est présenté : si la correspondance est exclue, sont en revanche compilées des transcriptions d’interviews orales ou de paroles saisies à la volée – voire apocryphes – et réunies avec la méticulosité d’un collectionneur passionné. Des écrits d’une extrême diversité, dont certains sont publiés sous forme de fac-similés. Articles théoriques, notes jetées en vue d’une conférence, tracts de toute espèce juste rappelés et non reproduits… Chaque « écrit », dûment numéroté, apparait au fil de l’ordre chronologique accompagné d’un imposant appareil critique : d’abord la liste des supports l’ayant accueilli, puis des notes correspondant à des appels surgissant soit dans le texte lui-même soit dans les informations données à la suite.

Collecter, trier, classer, recouper les sources afin de dater le plus précisément possible les documents que rien en eux-mêmes ne permet de situer dans le temps… Les heures d’ascétique patience que ces tâches ont exigées se sont encore accrues du temps, sans doute considérable, qu’André Blavier a consacré à l’enrichissement de son appareil critique. Brodeur hors pair, il agrège, avec une habileté consommée, une myriade de documents supplémentaires aux données essentielles – notamment de très larges extraits épistolaires. Chaque texte est ainsi festonné d’informations annexes qui démultiplient encore la richesse de l’ensemble. Sans cet art de l’agrégation, il est probable qu’à l’entour de Magritte la constellation artistico-intellectuelle dans laquelle il a évolué – où brillent les noms familiers de ses plus fameux compagnons d’art, Nougé, Scutenaire, Mariën, Breton… – n’aurait été ressuscitée avec tant de force. Cette profusion cependant reste extrêmement maitrisée, et je ne crois pas qu’il m’ait encore été donné de circuler avec autant d’aisance à travers de si nombreuses strates documentaires.

Reflet manifeste de la minutie d’André Blavier et de la passion qu’il semble vouer aux formes textuelles les plus variées, cet ouvrage renvoie au portrait que dresse de lui Patrick Roegiers dans Le mal du pays – comment ce livre eût-il pu ne pas me revenir en mémoire à la faveur d’un article concernant Magritte ? – et dont je me résous, à mon cœur défendant, à ne citer ici qu’une bribe, peut-être mal choisie : « obsédé par la précision, la mise en ordre, en fiches, en rangs, des désordres de la raison, traduits par des écrits fous les plus hétéroclites ». Et ce recueil d’offrir comme un portrait en creux de son génial maitre d’œuvre.

Reste un mystère à propos de ce livre : publié pour la première fois voici trente et un ans, il est réédité aujourd’hui à l’occasion de l’ouverture du musée Magritte à Bruxelles mais dépourvu de tout ajout, aussi succinct fût-il, qui le précise. On déplorera aussi qu’aucune note ne fasse mention de l’état actuel des recherches concernant Magritte et le surréalisme – en trois décennies, n’y a-t-il donc eu aucune investigation nouvelle qui ait mis au jour quelque document inédit ? Rien qui prolonge ou complète cette magistrale compilation ? Mais le plus triste, ici, est peut-être l’absence d’hommage à André Blavier ; disparu en 2001, il aurait mérité davantage qu’une brève notice biographique sur le second rabat de couverture.

Isabelle Roche


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°157 (2009)