Du neuf dans la nouvelle
Robert MONTAL, Sortie des artistes, Luce Wilquin, 1996
Le temps serait-il aux nouvelles ? Même si le mouvement reste timide (j’entends en ce qui concerne les ventes en librairie), les récits courts, l’essai bref, le conte même et la nouvelle bien sûr, semblent pourtant retrouver une faveur auprès des éditeurs et d’un public élargi. Il n’est que de constater l’efflorescence des collections à petits prix dont certaines, comme Les Mille et une nuits, misent sur la brièveté dans la qualité, ou le pari d’Huguette Bouchardeau dont la maison, HB éditions, accueille largement les nouvellistes. Les amateurs ne pourront que s’en réjouir. Comme ils se réjouiront de la parution de Sortie des artistes de Robert Montai.
Est-il besoin d’en présenter l’auteur si l’on se souvient qu’il a signé, sous le nom de Robert Frickx, de nombreux ouvrages consacrés à notre littérature, menant de front une carrière de professeur à la V.U.B. et de romancier qui lui valurent son élection à l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique. Son dernier recueil, où l’on compte treize nouvelles, joue sur une gamme de motifs relativement restreinte qui donne à l’ensemble une cohérence certaine. Inutile de chercher ici du tapageur, du clinquant. La plupart des récits s’ouvrent sur une vague appréhension, une légère fêlure de l’être, un soupçon. Insidieusement, par petites touches, le malaise originel s’amplifie et se creuse jusqu’à la cassure finale, nette, même si elle ne procède pas toujours par effet de surprise (lequel serait sans doute superfétatoire). On saura gré à l’auteur de ne pas avoir recherché l’impact trop facile car c’eût été au détriment de la nuance dominante du recueil : la demi-teinte y règne pour mieux suggérer les compromissions de la vie, la manipulation (les rôles des personnages s’inversent à plusieurs reprises), l’illusion qui nous gouverne et qui s’avère finalement plus amère que douce. La vanité humaine, dans ses secrets replis comme dans ses impostures les plus voyantes, apparaît comme la pierre d’achoppement où peut s’aiguiser le regard critique, insolent de l’auteur. On s’amusera de son tableau des mœurs mondaines, tant dans le monde artistique, médiatique que littéraire, mais la gravité est toujours présente, plus profonde. Elle est rivée à notre nostalgie originelle, celle d’un monde qui se rêve lucide et libre, mais qui depuis la perte de l’enfance a dû renier son innocence. Sur cette thématique forte quoique jamais démonstrative dans ses différents détours, s’articule une variété de tons et surtout d’atmosphères. D’un texte à l’autre — voire au sein d’un même récit — le fantastique frôle la banalité, l’ironie la tendresse, le cocasse l’absurde. Brassage qui se révèle efficace, parce que toujours discret et servi par une écriture d’une grande sobriété. A la façon de ces artistes qui, lorsque le spectacle est terminé et que les applaudissements se taisent, une fois les rampes éteintes et les costumes remisés, rejoignent tous, chacun à leur manière, la petite porte du fond qui ouvre sur la nuit.
Dominique Crahay
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°93 (1996)