À côté des grandes bibliothèques et des collections prestigieuses d’amateurs fortunés, il existe des fonds plus modestes, aux richesses souvent insoupçonnées, qui sont des mines pour la curiosité, l’étude et la recherche. Ainsi le Musée Camille Lemonnier qu’abrite, au cœur d’Ixelles, la Maison des écrivains.
Abondamment portraituré et façonné en buste, pendu à tous les murs dans des poses solennelles ou familières, le Maréchal des lettres accueille le visiteur en son Musée, la moustache en bataille, l’œil inquisiteur derrière l’indispensable lorgnon. Le palier et la première salle, qui rassemblent, avec de nombreux documents, ses collections artistiques, rappellent la place considérable que tint l’art dans son œuvre et son existence – lui-même, comme plus tard sa fille Louise, touchait volontiers les pinceaux – et témoigne de ses nombreuses amitiés avec les artistes de son temps (Édouard Agneessens, Émile Claus, Theo Van Rysselberghe, pour ne citer qu’eux). La dernière salle reconstitue fidèlement le cabinet de travail de l’écrivain. Au-dessus de la cheminée, le Portrait à la pelisse de son ami Isidore Verheyden, qui le pose en statue du commandeur du naturalisme belge, laisse deviner une constitution vigoureuse et une capacité de travail exceptionnelle, « un tempérament » comme on disait alors. Dans ce lieu chargé d’atmosphère où les tableaux, les meubles et les objets entretiennent des correspondances secrètes, il est loisible d’imaginer l’écrivain dans son cadre familier, parcourant les livres reçus – tel que nous le montre une aquarelle de Constantin Meunier, – travaillant debout à son écritoire, tenant salon ou répondant à des correspondants nommés Bloy, Huysmans ou Zola ; de faire revivre une époque de combats artistiques et littéraires : un beau plâtre de Rodin se souvient des lances rompus par l’écrivain en faveur du sculpteur, alors objet de quolibets prudhommesques.
La bibliothèque de Lemonnier est scindée en deux. D’un côté, le prestige et les honneurs, avec la bibliothèque dite bretonne, Ce petit meuble recèle les œuvres de Lemonnier en édition originale, toutes ornées d’une œuvre originale (signée Ensor, Khnopff, Rassenfosse…) et superbement reliées (par Dubois d’Enghien principalement), qui lui furent offertes par ses amis à la parution de son cinquantième volume, en 1903. De l’autre, les rayonnages derrière le bureau, où se serrent naturalistes et symbolistes oubliés ou célèbres, donnent un aperçu des gouts de l’écrivain et, plus généralement, de ce que pouvait être la bibliothèque d’un homme de lettres à la fin du siècle dernier. L’édition courante y côtoie la rareté : par exemple Le juré d’Edmond Picard, avocat et protecteur des lettres belges, un roman édité en grand luxe, magnifiquement illustrée par Odilon Redon et tiré à cent exemplaires tous nominatifs, dont deux seulement sont conservés en Belgique.
Du fait de la place centrale de Lemonnier dans la vie des lettres de son temps, la réunion en un seul lieu des archives de l’écrivain se révèle particulièrement féconde à la recherche. Les manuscrits, les collections de revues et l’abondante correspondance permettent de croiser l’étude d’une œuvre et du vivier artistique qui la vit naitre, de relier sa genèse et son développement au réseau de la vie intellectuelle de l’avant-siècle, de reconstituer l’image vivante d’une aventure littéraire.
Fondé il y a un demi-siècle lors de la donation Marie Lemonnier à la Commune d’Ixelles, le Musée Lemonnier (150, chaussée de Wavre, 1050 Bruxelles) connait depuis quelque temps un dynamisme nouveau sous l’impulsion d’Émile Kesteman, vice-président de l’association des écrivains belges. Il se visite sur rendez-vous, en téléphonant (de préférence le matin) au 02/ 512 29 68. Isabelle Six en a dressé avec soin le catalogue dans une brochure illustrée disponible sur place.
Thierry Horguelin
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°96 (1997)