Le Palais des Académies ou celui du Premier ministre ?

academie royale

Le palais des Académies

On dit souvent l’Académie, mais il y en a cinq, dont la plus ancienne a plus de deux siècles. On s’imagine parfois un lieu voué aux cérémonies solennelles et ennuyeuses, à des fastes quelque peu désuets, mais c’est une maison où l’on travaille. Qui sont ces gens qu’on voudrait déloger ?

Cinq Académies. Celle des Sciences, des Arts et des Lettres est la plus ancienne. On l’appelle parfois la Thérésienne, parce qu’elle fut fondée par Marie-Thérèse d’Autriche en 1772. Elle s’est dédoublée depuis lors en une Académie francophone et une flamande, comme du reste l’Académie de Médecine. Toutes quatre cohabitent rue Ducale, au cœur de la capitale, à deux pas du Palais royal, avec leur consœur  l’Académie royale de langue et de littérature françaises, mais sans son équivalent flamand, qui a son siège à Gand.

C’est par un arrêté royal du 30 avril 1867 que le palais du prince d’Orange fut affecté aux Académies, pour devenir l’Aedes Academiarum, comme il est gravé sur la pierre de la façade. L’Académie de langue et de littérature s’y installa dès sa fondation en 1920. Toutes ces institutions ont bien sûr leurs activités propres. Elles organisent des séances privées, entre membres, mais aussi des séances publiques réunissant parfois plusieurs centaines de personnes : conférences, remises de prix, etc. En outre, le Palais des Académies accueille régulièrement de nombreuses réunions scientifiques, des colloques internationaux, par exemple. L’immeuble abrite par ailleurs plusieurs grandes bibliothèques spécialisées (la plus ancienne compte 14 kilomètres de rayons !) et des archives assidument fréquentées par les chercheurs. C’est là aussi que sont stockées les publications des différents organismes rattachés de près ou de loin aux Académies.

C’est l’ensemble de ces activités que le Premier ministre voudrait déloger : « un attentat contre la culture et la science », écrivait à ce propos le secrétaire perpétuel André Goosse, particulièrement choqué, comme tous ses confrères et consœurs, par la désinvolture manifestée à leur égard. Certes l’immeuble a de quoi séduire. Restauré dans son état d’origine suite à de grands travaux entrepris il y a une quarantaine d’années pour cause de mérule, il a fière allure. Ses parquets notamment sont très beaux. Mais supporteraient-ils longtemps le va-et-vient incessant de fonctionnaires et de politiciens pressés ?

On peut comprendre, comme l’expriment en privé certains commentateurs politiques, que, sur le plan symbolique, la décision du Premier ministre correspond à une volonté de moderniser l’image de l’État, en assurant, grâce à un immeuble de prestige qui jouxte les jardins du Palais royal, une visibilité plus grande au chef de l’Exécutif. Cette plus grande affirmation d’un pouvoir démocratiquement élu devrait-elle pour autant s’accomplir au détriment d’un des hauts-lieux historiques de la culture de ce pays ? Nombreux sont ceux qui pensent que non, y compris parmi les écrivains qui proclament, à la suite d’Achille Chavée : « Un jour, je n’entrerai pas à l’Académie ».

Carmelo Virone


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°120 (2001)