Paul Emond : quelqu’un d’autre

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Paul Emond

Le 21 avril, au Botanique, Monsieur Bernard Anselme a remis officiellement les prix triennaux de poésie et de littérature dramatique. Pour le théâtre, c’est Convives, de Paul Emond (Ed. Les Éperonniers), qui a été couronné. À l’origine de cette pièce, qui fut créée à Louvain-la-Neuve, on trouve un véritable cas d’école : en l’occurrence, l’I.A.D., l’école de théâtre où Paul Emond enseigne. Car c’est sur la proposition de ses collègues Jules-Henri Marchant et Christian Maillet que le dramaturge a commencé à écrire un texte qu’il devait soumettre, semaine après semaine, à ses élèves, créant pour eux des personnages qu’ils auraient à jouer. C’est J.-H. Marchant qui assura la mise en scène de la pièce. Retour à la case départ : c’est lui qui nous dresse aujourd’hui le portrait de Paul Emond.

L’un. Un auteur. Un écrivain. L’homme qui écrit. Qui finit par écrire. Qui fait quelque chose qu’il tire on ne sait d’où exactement – de ses propres cellules ou celles des autres, de ses atomes ou ceux de l’univers, de ses folies ou celles des autres ? – et qui finit couchée, étendue, gisante sur cette autre chose qui fut papyrus, arbre, feuille.

Et l’Autre. Qui pense que cette chose gisante a été vivante, bougeante, colorée, parlante, criante, de chair, d’os, de sang, de rêve. Et qui tente de remonter à cela. Au temps où.

Et l’Autre alors décortique l’Un devenu récit, drame et comédie, le fouille au scalpel, à la pioche, à la fourche et dans le cas Paul Emond, il faut aller vers l’infiniment petit (micro-laser) et l’infiniment grand (bull-dozer). Entre les deux c’est moins efficace, avec lui, un peu trop ni-chair-ni-poison.

L’Autre (le metteur en scène, le lecteur éveillé) n’a plus de repos lorsque l’Un (l’auteur, celui qui écrit, Emond) déclare, loin derrière ses lunettes-loupes-microscopes et son curieux sourire d’enfant-loup : « Je vois la pièce plutôt comme un texte virtuel, qui peut donner lieu à des interprétations diverses… le texte, au théâtre, est bien davantage un matériau pour les autres praticiens qu’une chose close, achevée. »

Ça, c’est la chose ouverte, la chose courant d’air. Et on n’est plus tellement rassurés de nos jours quand souffle le vent et qu’après s’être un peu battu avec et contre Tête à tête, La danse du fumiste, les Convives, les Inaccessibles amours… on s’aperçoit que les portes entrouvertes par cet Observant ne fermeront plus et même, souvent, qu’il les a, quelques-unes de ces portes, sorties de leurs vieux gonds à tout jamais.

ON n’est pas tellement rassurés en face de l’ouverture, de la particularité œil-et-sourire de Paul Emond. C’est une petite ouverture. Un trou quelque part. Qui donne sur un temps et un espace infini. Fatal. On n’en revient pas comme si ça n’avait pas eu lieu.

« C’est très plaisant, dit-il, puisqu’on est fatalement l’enfant de tous les autres qui ont écrit avant nous ».

Un petit trou qui donne accès aux papyrus et aux grottes de Lascaux, une invitation au voyage au centre de l’Homme. C’est pas toujours joli-joli, là-bas, perdu parmi « les brouillons, bribes et tentatives de faux-cyniques, vipériens, pleureuses et affreuses, résignés et autres inaccessibles ».  Mais son humour ressemble à un bout de fenêtre ouverte et éclairée au milieu de la nuit d’hiver. C’est par là qu’il faut aller à l’abordage de l’œuvre de Paul Emond. Qui ne s’adresse ni à ceux qui n’utilisent le microscope que pour considérer leurs propres morpions, ni à ceux qui n’utilisent la lunette que pour bâiller aux anges.

C’est difficile et amusant.
C’est une œuvre réfléchie de la maturité.
Qui ne se laisse embrasser que par les enfants-loups.

Jules-Henri Marchant


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°78 (1993)