Philippe Blasband et Cie : écriture en tous genres

Philippe Blasband

Philippe Blasband

Philippe Blasband nous mène depuis maintenant dix ans de mots en histoires. Plume éclectique, il nous a embarqués au gré de ses ports d’attaches en romans, pièces de théâtre, et autres scénarii. Explorateur du mot, sans cesse il cherche de nouvelles formes, de nouvelles écritures. C’est la caméra aujourd’hui qu’il empoigne, avec la réalisation de son premier long métrage, Un honnête commerçant, tourné en juillet et août entre Liège et le Luxembourg, avec Philippe Noiret et Benoit Poelvoorde. Une journée durant, entre direction d’acteur et contingences techniques, il se raconte. Par petites touches. Mais il vous faut être avertis, entre cynisme tendre et humour dérisoire, l’on ne sait jamais s’il faut vraiment croire ce conteur qui rechigne à parler de lui.

Philippe Blasband est un homme étrange. Une manière de trublion de la littérature. Dilettante, nonchalant, il passe allègrement du roman au cinéma et du cinéma au théâtre comme si tout, jamais n’était qu’un jeu, les mots des petits chevaux et la vie une tentative de rire. Pourtant, si elle semble vouée à une forme d’évanescence légère, la littérature de Blasband n’est pas de celle qui porte aux éclats. Petites touches de mots, vies entr’aperçues, destins envisagés, elle caresse le lecteur, le mène en chemins buissonniers. Littérature de rien ? Que nenni ! Car Blasband, s’il revendique la légèreté, nous dit aussi la vie, le trouble ou l’importance. Nous donne à penser autant qu’à rêver. L’on peut choisir alors de suivre le conteur, yeux écarquillés et oreilles en attente ou, en aventurier, partir à la cueillette de l’envers du mot, de son versant penseur. Homme multiple, Blasband est l’enfant de Téhéran et l’adolescent de Bruxelles, le juif et l’Arabe, le nonchalant et le tâcheron, simple et torturé, léger et profond. « Tout homme est deux hommes et le plus vrai, c’est l’autre », écrit Borgès. Blasband, sans cesse nous confronte alternativement à l’un ou l’autre visage et, pourtant, quel que soit celui qu’il affiche, toujours l’on se demande s’il faut le croire, s’il ne vous mène dans les méandres d’une fantaisie qu’il improvise dans l’instant, aux couleurs de votre regard ou aux formes de votre sourire.

Depuis dix ans, l’on connait surtout de Blasband l’homme de lettres. On le découvre aujourd’hui réalisateur. Et pourtant qui suit de près son parcours ne sera pas surpris. Après avoir arpenté les chemins de ses origines, d’Iran en Israël, Blasband est diplômé de l’INSAS comme monteur, se mêlant de cinéma presque par hasard, pour pouvoir continuer à se raconter des histoires. « Je ne voulais pas me lancer tout de suite dans la vie active, explique-t-il. J’ai choisi un peu au petit bonheur. Je ne sais pas ce qui se serait passé s’il avait existé en Belgique des cours universitaires d’écriture ». Ce n’est qu’à l’issue de cette formation qu’il se choisit romancier avec De cendres et de fumées qui obtiendra en 1990 le prix Rossel. Suivront quatre autres romans et une dizaine de pièces de théâtre. Mais le cinéma n’est pas loin. Dans chacun de ses livres, l’on retrouve la construction si particulière qui le caractérise, d’histoires qui se mêlent, s’éloignent, se rejoignent, de petits bouts d’existence rassemblés avec la perfection du monteur.

Drôle de métier

Aujourd’hui, Blasband tourne son premier long métrage, entre Liège et le Luxembourg. Et là où l’on croit découvrir le débutant, on trouve l’homme de métier. Déjà, il avait réalisé deux courts métrages et écrit une dizaine de scénarii de longs, dont le très remarqué Une liaison pornographique. Blasband, plus discrètement, a exercé presque tous les métiers de plateau, perchiste ou cameraman, et sa maitrise technique frappe dès l’abord. Pourtant, lorsqu’il parle de cinéma, l’on semble observer un enfant qui explore un jouet neuf et complexe. « Le cinéma est une activité spéciale, bizarre, il faut recréer des moments de vie par petites touches et réussir à les rassembler pour en faire un tout. C’est une autre forme d’écriture dont l’approche artisanale est passionnante. Il faut penser à tout, couper des cheveux qui repoussent, remettre les mêmes chaussettes, et toujours donner l’impression que tout se passe en deux heures ! C’est un drôle de métier, il faut faire plusieurs fois la même chose en donnant au spectateur l’impression que c’est la première fois. Si l’écriture d’un livre est un travail solitaire et laborieux qui demande trois à quatre ans, dans le cinéma, tout doit aller très vite et c’est un travail en commun avec des tas d’interlocuteurs qui vous poussent, qui avancent en même temps que vous ».

Même s’il affiche une manière de nonchalance joyeuse, sur le tournage, Blasband est partout à la fois. Il se place alternativement en observateur et en maitre d’œuvre. Un œil à la caméra, une remarque aux acteurs, aux techniciens, cinq ou six prises suffisent. Tout est réglé au cordeau.

Et cette étrange sérénité surprend. Chacun s’accorde à dire que le climat qui règne sur le plateau en fait un tournage idyllique. « Il est extrêmement rare que ça se passe ainsi, nous confie la production. Cela tient à la personnalité de Philippe Blasband qui connait parfaitement l’univers du cinéma et qui a remarquablement préparé le tournage. Les horaires ne sont jamais dépassés, il arrive même que nous terminions plus tôt. Chaque technicien sait exactement ce qu’il a à faire et, outre Noiret, il a longuement répété avec chacun des comédiens qui sont pour la plupart issus du théâtre. Tout le monde s’est senti en confiance, dans un climat de chaleur et de connaissance ». Et l’on perçoit sensiblement que Blasband aime et respecte chacun, du technicien au comédien, comme si pour lui, le travail en équipe était le juste répit que lui demandait l’écriture. « Un roman, c’est long et c’est seul ! Dans le cinéma, il faut réagir vite. J’adore le travail de technicien et le travail avec les comédiens. Il y a en fait très peu de métiers du cinéma qui ne soient pas créatifs. Le tout est de maintenir chacun dans une même idée, un même film. Et c’est beaucoup ésotérique qu’on ne l’imagine. Il faut savoir ce que l’on attend d’eux et avoir su les convaincre. Diriger des comédiens consiste juste en un travail du regard. Sur un tournage, je me contente de diriger les acteurs, ce n’est pas un travail de formation, je n’ai pas à leur apprendre à jouer mais à leur faire comprendre ce que j’attends d’eux. Il est vrai qu’avec Philippe Noiret, par exemple, c’est plus facile, il maitrise toutes les techniques, il donne immédiatement ce qu’on attend de lui. Mais tous les comédiens, même lui, attendent un retour, un œil extérieur. Ils doivent réagir dans l’immédiat et avoir la réponse dans l’instant ».

Un honnête commerçant est l’itinéraire d’un trafiquant de drogue. « C’est l’autoportrait d’un petit grossiste de la drogue. C’est la façon dont il est initié à une forme de mal sans pour autant y apporter une vision empreinte de morale. J’ai voulu trouver une forme ludique et policière. Mais dans toute approche, il y a toujours un regard psychologique. Ça va profondément mais sans prétention. Et j’aime bien l’idée de faire les choses sans prétention ! »

Le club des 5… ou des poètes

Et si Blasband s’est affirmé dans une écriture autant prolixe que dilettante, il s’offre les choix de ne faire que ce qu’il aime. Sa prochaine pièce, Le village oublié, dont il dit qu’elle est d’une ampleur très différente des précédentes, sera donnée prochainement à Bruxelles, au Varia, et, en parallèle, il termine l’écriture d’un roman. Ce seront les derniers. Blasband, cynique sans être désabusé, tire ainsi un trait sur la littérature. « J’en ai marre d’écrire des romans et des pièces de théâtre. Il me semble avoir fait tout ce qui est possible dans le genre, être arrivé au bout. Sans autre explication. C’est comme un couple qui arrive à un point de rupture lorsqu’ils n’ont plus rien à inventer ensemble. J’ai l’impression d’être usé. Mais il ne s’agit pas de ne plus écrire. Le mot a toujours fait partie de ma vie. J’ai eu envie d’écrire avec Gaston Compère qui était mon professeur… Et puis parce que c’était bien pour draguer les filles ! Pour moi, un romancier, c’est quelqu’un qui raconte des histoires sur le papier. Je voulais être Enid Blyton, mais en homme ! C’est avant tout l’écriture qui m’intéresse. Je n’aurais pas été malheureux en écrivant des modes d’emploi ! J’aime juste le fait de raconter et aujourd’hui, je veux trouver d’autres formes ». Et le sourire qui ponctue le propos, il faut aller le chercher dans l’éclair qui alors traverse son regard. Blasband a trop d’humour pour le laisser exploser en un vulgaire éclat de rire. Et lorsqu’on lui demande de qui il se sent proche en littérature, il réfléchit posément et ré pond : « Paul Gérardy, il est assez médiocre et méconnu pour que je puisse m’y comparer ! »

Et sur le même ton, il vous explique que fit du roman, fi du théâtre et place à une nouvelle écriture ! Il continuera les scénarii (« parce que ça paye bien ! »), se lancera dans les essais et… la poésie ratée ! « J’aimerais me lancer dans une carrière de mauvais poète. On part toujours de l’envie de faire des choses bien, je voudrais faire l’inverse et essayer de rater par détermination, y mettre la même énergie ! Je voudrais développer le genre du ‘raté’. J’ai commencé par écrire de mauvais haïkus. J’ai appris comment bien les rater. Il y a des techniques : il faut utiliser tout ce qu’on ne doit pas, ce qui parait vieillot. Il faut se servir d’images qui fonctionnent mal, prendre des thèmes grandiloquents, des pigeons voyageurs ou le destin de la Belgique par exemple ». Et à l’écouter, ça ne se veut absolument pas drôle ! Qu’en fera-t-il ? Eh bien il les publiera sur internet avec beaucoup de fierté ! Quant aux essais, c’est un genre qu’il a envie d’explorer. Par curiosité d’écriture mais aussi parce qu’il est des domaines qui le touchent plus intimement et qu’il évoque juste avec pudeur. « J’ai un enfant dysphasique. J’aimerais écrire un essai là-dessus. Me consacrer plus à lui et à cette maladie ».

Entre cynisme et tendresse, c’est là qu’il faut chercher Philippe Blasband. Juste entre les deux. Ou les deux à la fois… Ou peut-être rien de cela… Allez savoir…

Claire Huynen

Regards croisés :
Philippe Noiret parle de Philippe Blasband

Philippe Noiret

Philippe Noiret

Sur le tournage, tout le monde l’appelle « Monsieur Noiret ». Sa désinvolte distinction associée à la perfection de son travail en imposent à toute l’équipe. Pourtant, d’évidence une vraie complicité unit le comédien et le réalisateur. Philippe Noiret ne souhaitait pas donner d’interview. Il n’a accepté la nôtre que parce qu’il s’agissait de parler non de lui mais de Philippe Blasband.

Le Carnet et les Instants : Il est rare qu’un comédien de votre trempe choisisse de participer à l’aventure d’un premier film. Qu’est-ce qui vous a fait accepter le rôle de Chevalier ?
Philippe Noiret :
Lorsque j’ai reçu le scénario, j’ai eu un vrai coup de cœur. Les bons scénarios ne courent pas les rues ! J’avais vu en son temps Une liaison pornographique dont j’avais beaucoup aimé le scénario, outre la facture du film. J’ai accepté de rencontrer Philippe Blasband et le contact s’est fait immédiatement.

Quel est votre regard sur son écriture ?
Après avoir accepté de travailler avec lui, j’ai eu envie de lire ses livres. C’est quelqu’un qui a une écriture, un regard sur les choses et les gens intéressant. Mais aussi une sorte de décalage belge à la fois réaliste et complètement à côté qui ne va pas sans me séduire.

Quel type de metteur en scène est-il ?
Il a la directivité des bons metteurs en scène. La direction tant dans l’écriture que quant aux aspects techniques, comme la position de la caméra. Mais il a surtout cette qualité de faire en sorte que tout le monde soit bien, en confiance. Il laisse cette liberté. Les rapports entre metteur en scène et acteurs doivent être dépourvus de tout rapport à l’égo. Et la qualité du climat qui règne sur un tournage dépend essentiellement du metteur en scène. Il a, ici, réussi à établir une sérénité rare.

Claire Huynen


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°119 (2001)