Pierre Mertens, quarante ans après

mertens paysage avec la chute d'icare

En 1969, Pierre Mertens propose à Jean Cayrol, alors directeur du Seuil, une trilogie intitulée Paysage avec la chute d’Icare. Le projet n’est pas accepté, mais un premier livre en sort sous le titre L’Inde ou l’Amérique. Il sera bientôt suivi par un recueil de nouvelles, Le niveau de la mer (1970, aux éditions de L’âge d’homme) et par un autre roman, La fête des anciens (1971, au Seuil de nouveau). Tous trois sont tirés de la même « matière » et mettent en scène le personnage de Julien Delmas. Aujourd’hui, quarante ans après, le Seuil réédite cette trilogie sous ton titre d’origine, Paysage avec la chute d’Icare, en même temps que parait aux éditions Écriture un recueil d’essais, Le don d’avoir été vivant. La boucle est ainsi bouclée, les fragments de l’œuvre initiale réunis, pour la plus grande satisfaction de l’auteur et de ses lecteurs. Une période décidément faste, puisque Pierre Mertens vient par ailleurs de recevoir le prix Prince Pierre de Monaco à l’occasion de la réédition de son recueil de nouvelles Les chutes centrales (Le grand miroir).

L’Inde ou l’Amérique fait bien sûr référence à la « mésaventure » historique de Christophe Colomb qui, croyant aborder aux rivages des Indes, découvre en fait le continent américain. Ainsi se trouve posée d’emblée la question du rapport entre le rêve et la réalité, le mythe et l’histoire, le désir et sa réalisation. Le roman a pour personnage principal Julien Delmas, que l’on suit depuis sa naissance jusqu’ la fin de l’école primaire. Les premières pages du livre introduisent un thème qui sera abondamment développé dans La fête des anciens : celui de l’enfant roi. Lejeune Julien est l’objet de toutes les attentions. On l’encense, on le célèbre par des poèmes, on le photographie sous tous les angles. Il tyrannise les servantes, entre dans des rages folles, se comporte en despote.

Mais cet enfant roi est aussi un « enfant rien ». Il ne reçoit pas de nom : on se contente de l’appeler « l’enfant ». Son père pose la main sur sa tête pour l’empêcher de grandir. Le voir vieillir est perçu comme « un véritable scandale ». Même sa venue au monde est objet de perplexité : « Est-ce encore une naissance ? Est-ce une agonie ? Qui saurait le dire ? » L’enfant en rajoute, qui « réclame l’extrême onction ». Quand il atteint l’âge de trois ans, on cesse de le photographier, on se détourne de sa personne, à l’image du peintre venu faire son portrait et qui abandonne le travail en cours de route, « laissant derrière lui le chef-d’œuvre inachevé ».

Quelques années plus tard. C’est la guerre et l’exode, la famille trouve refuge dans un home. Les autres enfants, des orphelins, logent au château. Julien seul est relégué dans un pavillon, dont il sera ensuite chassé. Il rejoint ses camarades, de jeunes barbares qui « sentent le cuir mouillé » et « semblent prêts à toutes les initiations comme à tous les sacrifices ». Ils le méprisent, l’humilient. Le hissent sur un jerricane au milieu de l’eau et criblent celui-ci de balles ; Julien chavire, manque de peu de se noyer. Une nuit, au dortoir, l’un d’eux lui urine sur le visage. Des mauvais coups sont commis : un incendie, une fillette blessée, des lots saccagés à la foire. On soupçonne Julien, l’accusant, à tort ou à raison, de faits qu’il n’a peut-être pas commis, mais dont il est prêt à revendiquer la paternité. Sorti du cocon familial, Julien fait l’apprentissage de la brutalité du monde.

De nouveau, plusieurs années passent. Julien fréquente à présent l’école. Il y trouve d’autres compagnons, d’autres hiérarchies, plus subtiles. Dans les rôles que les enfants s’attribuent, il est beaucoup question de trahison et de réconciliation, d’allégeance et de châtiment. Il fait la découverte de l’écriture, et aussi celle de l’autre sexe, lequel s’incarne en deux figures opposées : la douce Thérèse, qui est amoureuse de lui mais qu’il martyrise, et la guerrière Corinne, qui le fuit et dont il s’éprend. Il imagine une lutte où elle a le dessus ; mais lorsque l’affrontement a réellement lieu, c’est lui qui la prend par surprise et la bat. Vainqueur, il est en fait vaincu : dialectique du « qui perd gagne ».

Le séjour à l’école primaire est marqué par un épisode singulier. Un « procès pédagogique » est organisé chaque mois par la directrice, Mme Blanche, au cours duquel chacun doit répondre des délits dont il s’est rendu responsable. Envoyé à l’étage prendre des chaises, Julien tombe sur le « pigeonnier », une classe spéciale aménagée sous les combles, où ont été réunis les élèves « malades », c’est-à-dire attardés. Il croit de son devoir de dénoncer le scandale, ou ce que son esprit chevaleresque se représente ainsi ; en guise de punition, lui-même se verra relégué parmi les plus faibles.

À travers les fables qu’on lui lit, puis qu’il écrit lui-même, il s’invente un univers de compensation. Un univers peuplé d’animaux sauvages, en particulier le tigre du Bengale, prédateur par excellence et symbole de liberté. Ils forment un contraste saisissant avec le triste spectacle des bêtes encagées que les enfants découvrent lors d’une visite au zoo, « manchots aux mines de croupiers sales, antilopes chagrines, phoques clownesques, volailles aptères ». Le Bengale renvoie à l’Inde, citée à de multiples reprises dans le livre, et qui apparait dès lors comme la patrie de l’imaginaire et de l’enfance, par opposition à l’Amérique, qui serait celle de la réalité et de l’histoire. Inutile de dire que sa préférence va à la première…

On le voit, le monde de l’enfance tel que le dépeint Pierre Mertens est rien moins qu’angélique. C’est un monde où tout est régi par des rapports de domination et de soumission, et par leur corollaire, la ruse, qui est l’arme des faibles. Julien oscille constamment de l’une à l’autre : tantôt dominateur, tantôt soumis ; tantôt puissant, tantôt impuissant. Et, le plus souvent, seul parmi ses pairs. Le livre est un roman de « désapprentissage », une « anti-épopée ». Un récit dans lequel il faut faire naufrage pour (re)naitre à la vie.

À l’inverse de L’Inde ou l’Amérique, qui couvre une large période, l’intrigue de La fête des anciens se déroule en une seule journée. Elle fait se confronter trois personnages, trois générations : Pierre, le grand-père, Julien, son fils, et Gilles, son petit-fils. Du temps a passé, Julien est à présent adulte et marié à Dominique, avec laquelle il est en instance de rupture. Ce qui réunit les Delmas est une fête donnée à l’école de Gilles – la même qu’a fréquentée Julien, et que dirige toujours Mme Blanche. Les élèves présentent un spectacle théâtral dont ils ont conçu les décors, les costumes et l’histoire. Si celui-ci forme le fil conducteur du roman, il n’en constitue pas à lui seul toute la matière. Pendant les nombreux entractes et temps morts qui entrecoupent la représentation, le père et le grand-père de Gilles interviennent tour à tour pour évoquer leur propre passé, les rapports qui existent entre eux ou avec le jeune garçon.

Le spectacle est une suite de tableaux puisés dans la mythologie grecque. Gilles s’est vu attribuer le rôle du dormeur. Couché sur un lit à l’avant de la scène, il rêve, et cette rêverie suscite, de façon désordonnée, l’apparition des héros et des dieux. Le spectacle n’en finit pas, les tableaux succèdent aux tableaux, pour le ravissement et l’accablement des parents venus admirer les apprentis comédiens. L’ensemble a quelque chose de chaotique et de parodique : les hôtes de l’Olympe sont gauches et hésitants, parfois jusqu’au ridicule. Une parodie dont on ne sait trop si elle fait partie du programme ou si elle est due à l’inexpérience des acteurs.

D’emblée est introduit un thème essentiel du livre. Les enfants jouent des rôles, en l’occurrence ceux de dieux et de héros. Ils ne sont pas perçus pour eux-mêmes, mais pour les personnages qu’ils incarnent. La posture de Gilles est révélatrice : tournant le dos aux spectateurs, il est exposé – aux regards, mais aussi au danger. Il ne se mêle pas aux autres personnages et n’intervient pas directement dans l’action, mais il en est l’ordonnateur, l’intermédiaire indispensable. Il est, contradictoirement, celui qui ne participe pas au jeu (son rôle en est à peine un), mais dont tous les autres dépendent. Il est à la fois objet et sujet, enfant roi et enfant déchu. De façon très significative, sa seule véritable action dans la pièce est ratée. Il est censé mimer un envol et être recueilli dans le rideau de scène que lui tendent ses camarades. Sautera, sautera pas ? Longuement, il hésite. Et finit par sauter, non sans avoir crevé le rideau et atterri tête la première sur le sol. De l’envol, nous n’aurons, à tous les sens du terme, que la chute.

Gilles apparait ainsi comme un avatar lointain de la figure d’Icare. Le motif de la chute est décliné à travers tout le roman en d’innombrables variantes. C’est Pierre qui affirme : « Quelquefois j’aimerais que mes journées eussent du plomb dans l’aile et piquent du nez, qu’elles atterrissent en catastrophe, comme a chaviré ce dimanche d’autrefois ». C’est Julien qui, sans raison apparente, fait un croche-pied à son fils : « Gilles, je t’en supplie, tâche d’oublier qu’un jour entre bien d’autres, il y a longtemps déjà, je t’ai fait tomber ». Ou encore qui le menace de le précipiter par la fenêtre : « Lentement tu t’e levé, tu t’es dressé debout sur ta chaise et tu as battu l’air de tes bras, en regardant la fenêtre au travers de laquelle je te promettais l’envol… » Même la banale expression « tomber amoureux » est, dans la bouche de Julien, à prendre au pied de la lettre : « C’était une folle et j’en étais tombé amoureux, comme cela, au milieu de l’après-midi. Je conçois à présent pourquoi l’on dit ‘tomber amoureux’, car je ne m’en suis pas encore relevé ».

Ailleurs il est question des « étangs-des-enfants-noyés » ou du « puits de Villefroide » sur lequel, tel Narcisse (autre figure mythologique, autre victime de son orgueil), Julien se penche pour capter son image. La noyade est évoquée à plusieurs reprises, par exemple à propos de l’une des maitresses du grand-père : « Cécile ne se sentait elle-même que dans le naufrage. De loin en loin, on la retrouvait devant soi, qui refaisait surface. Alors on lui tendait une main, elle la saisissait, elle remontait sur la berge, faisait avec vous quelques pas puis vous quittait pour aller se refoutre à l’eau ». C’est peu de dire que toutes ces chutes, noyages et naufrages jalonnent le récit : ils sont l’objet d’une véritable fascination morbide. Le spectacle lui-même est un naufrage, « par la faute d’un enfant mal-aimé qui jamais ne s’accoutumerait » – Gilles, bien sûr, « Icare aptère » à qui l’on impute ce désastre.

C’est que Gilles, comme Julien avant lui a eu à souffrir d’une hérédité problématique. Cela commence avec Pierre, l’aïeul, mari volage et père défaillant. Un homme sans destinée, ou à la destinée incertaine : un homme sans histoire, mais pas sans histoires. Journalistes il mène une vie dépourvue d’éclat. Son existence est tout sauf aventureuse, et pourtant il décide un jour de partir pour l’Afrique, dans le but de fonder une publication progressiste destinée aux indigènes, qui s’y intéressent médiocrement. Il se demande bientôt ce qu’il est venu faire là. L’expérience se solde par un échec. Dans son journal, il se définit comme un « amateur de l’humain » – non au sens de celui qui aime l’homme, mais de celui qui traverse l’existence en dilettante.

Assurément, on peut rêver mieux comme figure paternelle. Et l’on conçoit que Julien ait quelque mal à dessiner les contours de sa propre identité. Hélène, la femme de Pierre, lui reproche son infantilisme. Julien en tire cette conclusion : « À tous les coups, on me rendait bâtard et orphelin : Tu n’es pas né d’un homme, donc tu n’es pas toi-même un homme. Je me retrouvais, comme on dit, ‘né de père inconnu’ ». Mais la réciproque est vraie, et le désarroi de Pierre n’est pas moins grand : « Tu ne me sentis pas aussitôt comme ton fils. ‘Si l’on substituait un autre enfant au mien, demandes-tu, à quel détail vulgaire devrais-je de m’en apercevoir ?’ Bientôt, pourtant, tu te mis à attendre de moi des miracles ». Car ce père absent n’en est pas moins un père encombrant. Un jour, conduisant son fils à l’école et y rencontrant les mères des autres élèves, Julien se prend à songer aux enfants illégitimes que son père a semés derrière lui : « Sur-le-champ, je reconnaissais ma paternité sur leurs mouflets et elles adoptaient le mien ». Par un lapsus singulier, Julien et Dominique ont oublié de déclarer leur fils à l’état civil dans les trois jours prescrits : légalement, c’est le procureur qui doit donner son prénom à Gilles (heureusement il acceptera de ratifier le choix des parents).

L’incertitude quant à la paternité, par une sorte de circularité panique, contamine tous les protagonistes. Dominique, à l’époque où elle n’est pas encore mariée avec Julien, ne lui dit-elle pas cette « chose énorme » : « Julien, je vous le promets : si, un jour, j’ai un enfant, je dirai qu’il est de vous ». À quoi font écho deux autres phrases du livre : « Je t’aurais eu, mon fils, de n’importe quelle femme… », déclare Pierre à Julien. Lequel lui répond ailleurs, avec une amère ironie : « Si un jour j’ai un père du nom de Pierre […], je dirai qu’il est de moi ». Difficile de dire plus clairement des rapports plus embrouillés. On conçoit que ces hommes aient avec les femmes un rapport compliqué, où l’admiration se teinte d’appréhension. « Toujours cette vieille peur des femmes », dit Pierre, « Casanova terrorisé », avant d’avouer, plus explicitement encore : « Jamais aucune femme ne m’a, ne serait-ce qu’un instant, rassuré ». Dans une scène symbolique, Julien affronte Dominique en une lutte physique qui est, dans l’esprit du moins, une lutte à mort. Dominique y apparait sous les traits d’une mante religieuse qui, après l’avoir terrassé, se précipite sur « le mâle enamouré prêt pour l’holocauste, la proie succulente où elle trouverait le vertige ». Et l’on reste, au bout du compte, avec cette question en forme d’énigme, plusieurs fois répétée en lettres majuscules : « QUI A FAIT LE MAL ? » Une question qui, bien sûr, demeurera sans réponse.

Les nouvelles qui composent Le niveau de la mer puisent à la même source que les romans, dont elles apparaissent comme autant de fragments dérivés. Nombreuse sont, dans ces pages, les références, explicites ou implicites, aux deux autres livres. On y trouve une fillette, seule dans une vieille demeure dévastée par les bombardements, et qui téléphone à sa mère en une communication improbable, puisque le fil du téléphone, seul objet demeuré intact, est sans doute coupé (« Au téléphone »). Autre enfant solitaire, le jeune garçon « bleu », surnommé « l’Infant » ou « l’Indien » qui vit « comme s’il n’avait jamais eu d’enfance » et qui, lorsqu’on lui demande ce qu’il veut devenir plus tard, répond : « Célibataire » (« Entre deux eaux »). Ou encore le petit Simon, enfant méprisé, épuisé par l’excès de travail, qui assiste un jour à la reconstitution d’un crime, dont l’auteur probable est un garçon roux avec lequel il s’est lié : Simon rêve de mourir sous les coups, pour exorciser la haine et mettre fin à sa fatigue (« Reconstitution »). Un très beau texte met en scène les fantasmes d’une jeune fille éprise de sa professeure de mathématique, en un long message d’amour et de haine mêlés, où elle s’imagine tour à tour vierge et putain, avorteuse et ravisseuse, bourreau et suppliciée (« Une leçon particulière »). Le désir de maternité, tantôt affirmé, tantôt nié, est au centre des préoccupations de l’adolescente, tout comme la paternité – désirée, non désirée, toujours difficile – l’est dans la conversation entre deux hommes qui poussent un landau sur le rivage (« Mais pour qui, mais pourquoi un oiseau ? »).

S’il fallait toutefois épingler une nouvelle dans le recueil, ce serait assurément la première d’entre elles, la plus remarquable à plusieurs égards : « Supplément au voyage de Colomb ». Elle a pour cadre une ville balnéaire nommée Colonnes (« Colón » est le nom espagnol de Colomb), où l’on trouve sur une colline la statue du conquistador, ainsi qu’un pont baptisé Vespucci. Dominique et Julien se promènent parmi les décors d’un film tourné par le réalisateur Sabbatine, sorte de poussah capricieux et bavard, « chérubin vieilli, éphèbe pourrissant ». Le jeune couple se livre à une valse-hésitation, surtout du fait de Julien, perpétuel indécis. Il se voit tel un « roi enfant » – mais, comme dans le conte, le roi est nu, désarmé face à la vie : il est celui qui « passera toujours ni vu ni connu, nul et non avenu ». Les allusions à l’Inde et à l’Amérique abondent. Dominique fait l’achat d’oiseaux des Indes qu’elle relâche aussitôt. Un marchand propose à Julien un disque intitulé Variations sur les ailes d’Icare. Le même Julien va voir un documentaire sur les Indes, où « un tigre [meurt] assassiné de loin par un chasseur américain, au cours d’une très capitaliste chasse au fauve ». On pourrait multiplier les exemples.

Ces quelques fils tirés à travers les trois premiers livres de Pierre Mertens sont évidemment loin d’en restituer la complexité. Il faudrait aussi parler de la langue souvent somptueuse, émaillée de riches trouvailles : « L’asile sentait l’éther et la rhubarbe », ou encore : « Un négatif nous le montre encore, foudroyé par un coup de jour au fond d’un fauteuil Voltaire ». Le même résultat peut être obtenu par les moyens les plus simples : « Ce fut d’abord une neige maigre et pusillanime. Mais bientôt on la vit tomber à gros flocons noirs sur le fond du ciel blanc ». Ou bien : « L’eau flambait comme un alcool, brûlée vive ».

Mais la complexité de ces textes tient aussi, et peut-être surtout, aux particularités de leur forme. L’apparente linéarité du récit est constamment brisée par le surgissement de motifs fantasmatiques, un peu à la manière d’une composition musicale. D’incessants rappels thématiques se tissent d’un texte à l’autre ou à l’intérieur d’un texte, les mêmes personnages y réapparaissent sous un éclairage nouveau. Mentionnons encore le glissement sans transition de la première à la troisième personne, le passage du passé au présent qui, un peu à la manière de Faulkner ou Lowry, suscitent un doute sur l’identité du locuteur, qu’il appartient au lecteur de lever au prix d’un salutaire effort d’attention.

Quarante ans après leur première publication, ces textes n’ont rien perdu de leur actualité, et l’on reste étonné par la modernité de leur facture, leur constante recherche stylistique. Certes, on est loin encore des grandes machines romanesques que seront Les bons offices ou Une paix royale. Certes, l’histoire et la politique, la justice et la trahison, qui deviendront des préoccupations majeures chez Pierre Mertens, ne font ici que de discrètes et allusives apparitions, qui renvoient davantage à l’imaginaire qu’à la réalité. Mais la trilogie les annonce à plusieurs titres et, à la relire avec le recul, on comprend mieux la phrase que Jean Cayrol adressait à l’auteur débutant, qui n’avait encore rien publié : « Vous êtes un écrivain ».

Daniel Arnaut


Pierre MERTENS, Paysage avec la chute d’Icare, Seuil, 2009


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°159 (2009)