Pierre Puttemans : le dernier Type en or, un créateur pluriel

Pierre Puttemans

Pierre Puttemans

Pierre Puttemans, le dernier des “Sept types en or” et de la revue Phantomas, est mort le vendredi 16 août, pendant une opération bénigne. Il était architecte et poète, ce qui est sans doute inconvenant ou suspect, comme il le dit encore dans Facéties, son dernier recueil, qui le résume si bien. Il formait, depuis quelque cinquante ans, un couple fusionnel avec l’écrivaine Jacqueline Harpman, décédée en 2012. La jouissance de leurs textes qui tiennent de l’exception demeurera sans limite.

Architecte, défenseur du patrimoine, enseignant, polémiste, critique, historien d’art et d’architecture, il aimait répéter que son métier “civil” ne l’ennuyait pas. Au contraire de certains de ses amis du groupe Phantomas. Chacun de ses intérêts, chacune de ses activités enrichissait l’autre. Ses monographies sur de grands architectes, ses textes d’histoire ou critiques témoignent d’un rare talent d’écriture. Ses textes littéraires sont nourris d’une érudition qui ouvre un champ illimité à l’exercice d’un humour très spécifique.

Dans un article d’hommage à Joseph Noiret, mort en 2012, il avait, de Cobra à L’Estaminet, retracé l’aventure de Phantomas et réévoqué chacun des “Sept types en or” (Voir Le Carnet, n° 171, pp. 37-44). Il y reprenait notamment ces quelques mots fondateurs de Marcel Havrenne, dans une lettre adressée en 1953 à Joseph Noiret : “Je médite un vague projet de revuette plus ou moins anonyme, avec bouquet garni de pataphysique, engueulades, coups de pied occultes strictement métaphoriques”. Pierre Puttemans, le plus jeune d’entre les membres, participe à la rédaction du Manifeste révisé, qui fait notamment référence à Lénine. Ici Phantomas est défini comme “Un Fuegien aux Tuileries” ou comme “Un iguanodon en ses jardins de Villandry”, ce qui désigne combien la revue “c’est Popocatepetl six fois par an”.

Mais l’œuvre personnelle de Pierre Puttemans est nombreuse et passionnante. Sa bibliographie occupe deux pages entières dans sa dernière parution à l’Atelier de l’agneau. Son œuvre était d’ailleurs toujours en cours. Ainsi, “L’heure d’hiver” qui figure dans Facéties comportait déjà une suite, “L’heure d’été”, rédigée en juin 2013. Si près et si loin déjà. Difficile de trouver la formule qui caractérise l’ensemble de ses textes, parce qu’ils sont de tous ordres, mais toujours insolites, imprévus, impromptus, portant l’inattendu (ou la surprise) à son comble. On voudrait citer quelques-uns de ses Tchizes ou de ses Troglodytes. L’une ou l’autre de ses histoires réelles du Monomotapa. Un sonnet impeccable mais hilarant que rien ne signale particulièrement. Un exemple de Basse-cour ou encore un extrait de ce livre délicieux La Constellation du chien : récit, portrait, autoportrait peut-être. On irait de surprise en surprise et on se coulerait avec joie dans la fantaisie iconoclaste, le délire contrôlé et la pratique jouissive d’une langue  décalée. Car Pierre Puttemans se joue constamment des mots et des expressions toutes faites qu’il déconstruit avec un plaisir très communicatif.

Cette œuvre est dispersée dans nombre de volumes ou plaquettes à peu près introuvables aujourd’hui. On attend dès lors avec impatience la réédition urgente de ces textes importants dans la collection “Espace nord”.

Jeannine Paque


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°178 (2013)