
Marcel Piqueray
Une sale blague, ce n’est pas que « La Trût / Do / La Trût fait la Troût / Ses 8 heures. / Elle fait la Trout / D’abord : sous elle » – ça, on le savait déjà depuis le recueil Non Inhibited Poems, paru chez Phantomas. Ce n’est pas non plus que « Ma tante / Mariette / Qui était plus belle / que la Reine / Astrid / Foutait de la cassonade / Ou de la salade de blé / Dans les tartines / De mon oncle Freddy / Un raté / Fini / Qui n’avait fait / Que l’école industrielle // Du soir / Et qui écoutait / Valencia / Un après-midi d’orage / Où un éclair / Entra / Dans son lit » – comme il est dit dans « Justement », un poème du Vins puis Faons pour les Anzacs. La vraie sale blague la voici : trois ans après son jumeau Gabriel, à l’âge de 77 ans, Marcel Piqueray a filé cet été au-delà des gestes (et autres textes), dans les marais d’étoiles où Benny Goodman, Stan Getz et les autres leur jouent des cantiques polychromes. Et tous les retardataires qui n’ont pas eu l’occasion d’entendre Marcel lire ses textes et ceux qu’il avait signés avec Gabriel n’auront plus jamais cette chance.
Tant pis pour eux, parce que c’était impressionnant cette manière qu’il avait d’imposer aux phrases un martèlement sans emphase (presque tous les vers sont construits sur ou deux accents toniques forts, puis on passe à la ligne), cette présence évidente d’un corps massif capable cependant de grâce (mouvement léger de la main), cette ironie sans vulgarité qu’il mettait à prononcer, pour la grande jubilation des spectateurs, les mots parfois cochons, parfois tendres qui émaillent ses histoires de famille, sous-tendus par une violence et une musicalité de chaque instant : « Oui, la nuit / Oui, le meurtre » (Lumière). Le seul poète, sans doute, avec Bernimolin (R.I.P.), qui aurait pu se recycler dans le rap, en râpant pour sa mangeoire les mots qu’en général la Pohasie rupine laisse aux pôvres : expres. pop. de Wallonie, des Marolles ou de Flandre, cacophonies ou graphies polyglottes, faits divers médiocres, considérations à la papa. Poum pi doû.
Résumons-nous : « La manière des frères Piqueray revêt, grosso modo, cinq aspects fondamentaux » : l’analyse du quotidien, l’humour, le merveilleux, l’angoisse, la tendresse. « N’omettons pas le recueil Die Damen ‘dédié aux femmes de la planète Terre’ ». (D’après un entretien des frères Piqueray avec André Miguel dans Le journal des poètes, n°4, 1981).
Quelques titres sont encore disponibles : (avec Gabriel) Au-delà des gestes et autres textes, anthologie, chez Labor, coll. « Espace Nord » ; Cantiques polychromes (illustrations de Pierre Alechinsky) et Quelque chose dans (gravures de Reinhoud) au Daily Bul ; (avec Paul Colinet), Crognamire, essai (illustrations de Robert Willems), à La pierre d’alun.
Carmelo Virone
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°99 (1997)