Anne Richter, La promenade du grand canal

Tête de Bata

Anne RICHTER, La promenade du grand canal, L’âge d’homme, coll. « La petite Belgique », 2012

richter la promenade du grand canalCette nouvelle publication de La promenade du grand canal clôt la réédition de l’œuvre de fiction d’Anne Richter aux Éditions L’Âge d’Homme. Un autre recueil de nouvelles La grande pitié de la famille Zintram et l’essai Le Fantastique féminin : un art sauvage avaient déjà fait l’objet d’une réédition. Parue pour la première fois en 1995, La promenade du grand canal a valu à Anne Richter le Prix Robert Duterme de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique. Est-il encore nécessaire de présenter la nouvelliste, essayiste et anthologiste belge ? Son domaine de prédilection : la littérature fantastique, et plus particulièrement l’exploration du « Fantastique féminin ». Elle en a fait sa spécialité et l’étudie autant qu’elle le pratique.

À travers ces neuf nouvelles, regroupées sous un titre invitant au voyage, Anne Richter nous promène dans les rues de Bruxelles et dans un quotidien constamment distancé. De ce quotidien ne reste que l’insolite. Au coin d’une rue, sur le pas de notre porte, depuis notre esprit et nos souvenirs, peuvent sans cesse surgir des ombres inquiétantes : une étrange petite fille affublée d’une robe sale et tenant dans les bras une vieille peluche, une aïeule revenue du passé, un agresseur ne portant qu’une chaussure, une inconnue aux yeux de biche, une revue à la mode devenue incontournable, un garçon qui aime Berlioz, … Ces hommes et ces femmes, presque tous nos contemporains, cultivent cet art de « vivre autrement » : Margot collectionne les souvenirs, instants subtils, des personnes qu’elle a croisées ; Benoît court après les lumières noires, ces lumières dont la source est incertaine ; Mary Shelley « accouche » d’un monstre, Frankenstein ou le Prométhée moderne, véritable incarnation mythique de sa vie de couple et de sa misérable existence. Les surprises sont nombreuses et nous guettent à chaque page. Tous ces personnages vont connaître un événement, un non-événement ou une apparition qui leur permettra de comprendre, de relativiser, de s’éloigner de ce monde avide, bruyant et violent, ou de basculer de l’autre côté du miroir. Les ressources insoupçonnées du réel, les terrains inconnus et inexplorés, peuvent susciter de l’angoisse et de la peur, mais provoqueront à coup sûr un enrichissement chez ces êtres de papier. Tous grandissent, évoluent et vivent à Bruxelles. Présente à chaque page, la ville s’étend. Du parc de Tervuren à Auderghem, du fin fond d’Uccle à Sainte-Catherine, en passant par l’avenue de la Toison d’Or, le café Falstaff, les tunnels du métro et le Petit-Sablon, Anne Richter explore les potentialités fantasmatiques de Bruxelles. Ses neuf nouvelles, ponctuées de dédicaces et de citations, abordent différentes thématiques, comme la difficulté de faire un choix, le changement, la résurgence de souvenirs d’enfance, le sentiment d’être observé, oppressé, la résurrection, les fantasmes et autres rêves. Son écriture, empreinte de poésie et de philosophie, bascule souvent dans une ironie joyeuse. Tout est ouvert, tout reste possible. Prenez garde, l’étrange n’est jamais très loin !

Émilie Gäbele


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°171 (2012)