Anne Richter, Le chat Lucian

Clairs-obscurs

Anne RICHTER, Le chat Lucian et autres nouvelles inquiètes, L’âge d’homme, coll. « La petite Belgique », 2010

richter le chat lucian et autres nouvelles inquietesAu fil de nombreux essais critiques, anthologies et recueils de nouvelles, l’inspiration d’Anne Richter procède de deux tropismes majeur: sa passion pour l’art – la peinture en particulier – et surtout une relation avec la littérature fantastique qui confine à l’empathie. Son dernier recueil de quatre « nouvelles inquiètes » n’échappe pas à cette double empreinte.

C’est  le chat de Freud qui ouvre le ban. Un Freud qui n’est pas le barbichu au canapé, mais le petit-fils peintre dont le prénom Lucian, attribué aussi à son singulier félin, est notamment l’auteur du. tableau « fille avec un chaton ». Revanchard, cet animal freudien! À travers l’histoire et une tripotée de peintres -de Duhrer à Balthus-, il dénonce les torts faits à ses congénères et analyse d’une façon pour le moins acrimonieuse et dénigrante les regards divers portés sur lui par ces artistes, au fil de ses nombreuses existences.  (Ce qui nous vaut du même coup, par chat interposé, un éclairage facétieux mais sagace d’Anne Richter sur les œuvres en question). Mais, patience…Pour se reposer de la famille Freud, Lucian a inauguré une de ses nouvelles vies chez un couple avec bébé et pour ce « saint homme de chat », comédien atavique et vicieux, la vengeance est une pâtée qui se mange froide. On trouve en parallèle dans le récit, une allusion un tantinet féroce à l’égocentrisme que peut afficher, surtout lorsqu’il est en panne d’inspiration, un écrivain plus soucieux de son œuvre que du sort de ses proches. Même si, d’aventure, la femme n’y est pas épargnée, il faut bien constater que la gent masculine n’a pas toujours le beau rôle dans ce recueil. Comme dans Les esclaves, une nouvelle étrange et tragique, où la Flandre gothique fait irruption dans celle d ‘aujourd’hui et où le mâle de service est un mélange de séduction, de machisme cynique et de franche crapulerie. Si l’art y est bien présent, c’est dans Le noir absolu qu’Anne Richter donne, à cet égard, toute la mesure de sa sensibilité créative. Avec un regard original et troublant sur le tableau Judith décapitant Holopherne et sur son auteur, Artemisia Gentileschi, une des très rares femmes-peintres des XVIe-XVIIe siècles. Toile d’une violence extrême, traitée dans le style des clairs-obscurs du Caravage, et aujourd’hui considérée comme une des plus représentatives de cette époque baroque. On y voit le général assyrien se débattre sous l’assaut de Judith et de son « assistante » occupées à lui trancher la gorge. L’ambiguïté règne en maître dans cette nouvelle où le doute, finement argumenté, sur le sens caché -et paradoxal-de l’ œuvre en question ou de ce qui en a inspiré l’organisation rejoint celui qui pèse sur la vie personnelle de l’artiste et sur la réalité d’un viol dont elle aurait été la victime. Des doutes qui alimentent l’enquête menée sur fond de belle amitié  -autre clair-obscur-  entre la jeune narratrice obsédée par cette énigme et le vieil homme fatigué de la vie qui la guide dans ses recherches émaillées de fantasmes. Le recueil se clôt joliment sur les prodiges révélés par un manguier à un ex-forçat de travail reconverti au rêve. Affligé aussi d’une épouse abusive et d’un ami pétri de snobisme imbécile. Anne Richter nous livre tout cela sur ce ton de « simplicité éloquente » que dit affectionner une de ses narratrices.

Ghislain Cotton


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°163 (2010)