Roger Foulon généreux et prolifique

Roger Foulon

Roger Foulon

À 83 ans, Roger Foulon est un des doyens de nos lettres. Mais il n’a rien d’un retraité. Il est actif dans un grand nombre de commissions. Il publie, à un rythme soutenu, des recueils de poésie qu’il imprime souvent lui-même et des romans. Tout en poursuivant l’édition de la revue Le spantole qu’il dirige et anime depuis sa création, il y a cinquante et un ans, à Thuin, au cœur d’une Thudinie qu’il connait par cœur et dont il n’a jamais cessé de promouvoir les artistes. Le Carnet et les Instants a voulu rencontrer cet homme aux multiples facettes.

Roger Foulon est accueillant et chaleureux, prompt à vous offrir une Chimay ou à vous lire le poème qu’il vient d’écrire quelques heures plus tôt, plus circonspect si on l’interroge sur son ordinateur portable mais intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer ses souvenirs littéraires, avec un sens de l’anecdote et une douce ironie qui pimente son discours plus qu’elle n’égratigne ceux qu’il évoque. Lucide mais jamais désabusé, il se définit avant tout comme quelqu’un de curieux et d’avide, à la mesure du portrait que son ami Willy Bal brossait de lui dans un numéro spécial du Spantole qui rendait hommage à son fondateur : « Romancier, chroniqueur, folkloriste, historien, critique littéraire ou artistique, tastevin, gouteur de bières, marcheur de la Saint-Roch, académicien, imprimeur, conférencier, organisateur d’expositions, multiprésident, gourmet, guide touristique pour un tourisme de proximité, de raffinement… J’en oublie certainement. Il faudrait à Roger une carte de visite grande comme une affiche. Il n’en voudrait d’ailleurs pas, dans sa modestie. Celle-ci n’a d’égal que son dynamisme, son inlassable labeur. On pourrait à me lire le prendre pour un touche-à-tout. Nullement. Reprenant à Jacques Lefèvre sa distinction ternaire, je dirai que chez Roger le personnage social, l’artiste vibrant, l’homme fraternel ne font qu’un ».

Le Carnet et les Instants : Comment est née l’aventure du Spantole ?
Roger Foulon :
Le spantole est en fait le prolongement de deux autres structures. Il y a d’abord eu les JALT, les Jeunesses artistiques et littéraires de Thudinie, remplacées dix ans après leur création par les Artistes de Thudinie, qui organisaient principalement des expositions, ce qui frustrait un peu les littérateurs. Nous avons donc lancé Les feuillets du spantole qui, dans leur première version, ne proposaient que quelques pages et sont devenus la revue que vous connaissez aujourd’hui. Le nom est venu d’une vieille bombarde du 15e siècle, conservée à Thuin et qui a été stylisée, dans le logo de la revue, par le graveur Gustave Marchoul, mon ami et compagnon de route depuis les débuts.

Aujourd’hui, Le spantole dépasse le 350e numéro, ce qui représente un peu plus de 9000 pages. Quelles sont les constantes de la revue ?
Au départ, il s’agissait avant tout de rendre compte de la vie culturelle de la région. Nos artistes sont toujours bien présents aujourd’hui et identifiés dans le sommaire par un petit astérisque, mais nous avons intégré très tôt à leurs côtés d’autres auteurs venus de Belgique ou d’ailleurs. Le spantole ne publie pas de critique mais seulement des textes de création, illustrés par des œuvres originales. Nous avons toujours veillé à conserver une présentation qui préserve le caractère artisanal des débuts.

Au Spantole, vous faites pratiquement tout…
Je suis tout de même aidé par un comité de lecture qui fait la première sélection mais j’assure effectivement l’essentiel du travail, du choix des textes à l’expédition du numéro en passant par le recrutement des abonnés qui assurent la plus grande partie du financement de la revue. Le spantole bénéficie des aides du Fonds des lettres et de la Promotion des Lettres, 3.000 euros en tout, ce qui permet de financer un numéro et demi par an. Pour le reste, la publication vit essentiellement grâce aux abonnements, environ 350 aujourd’hui.

Vous vous chargez également de l’impression ?
Non, non, nous confions l’impression à un imprimeur qui s’appelle… Henri Michaux. Mais je suis effectivement imprimeur depuis 1973, l’année de ma retraite. Jean-Marie Horremans, qui avait lancé à l’époque le musée de l’imprimerie à la Bibliothèque royale, m’avait indiqué qu’un imprimeur se débarrassait d’une presse à pédales. Je l’ai installée dans ma cave. Puisque j’étais un des principaux organisateurs du Spantole, j’ai décidé que tout ce que j’avais à imprimer le serait sous le label des éditions du Spantole, et je n’ai jamais imprimé que mes propres livres, à deux exceptions près, pour Georges Thinès dont j’ai édité un recueil qui s’appelle La statue fatiguée et pour mon fils, Pierre-Jean Foulon.

Et la prose ?
J’ai essayé dans ma jeunesse d’écrire des romans, mais il fallait une disponibilité temporelle particulièrement importante. Mon métier d’instituteur et mes activités de critique ne me permettaient pas d’y consacrer le temps nécessaire. C’est en 1973, l’année de ma retraite, que je m’y suis mis. J’ai publié L’espérance à Venise à la Renaissance du livre. Une douzaine d’autres titres ont suivi.

On vous classe souvent parmi les écrivains régionalistes. N’est-ce pas réducteur ?
Je m’intéresse beaucoup au folklore, aux traditions et à l’histoire de ma région. Et j’ai écrit, souvent à l’instigation de Paul Legrain qui fut longtemps l’éditeur de mes livres en prose, une série de livres sur ma région. J’ai écrit sur les métiers d’autrefois, j’ai fixé toute une série de légendes de Wallonie et, je viens de publier un bel ouvrage illustré sur les Marches militaires de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Ce sont généralement des ouvrages de commande. J’ai écrit également deux recueils en wallon et un troisième devrait paraitre d’ici peu. Que mes romans soient également catalogués comme régionalistes ne me dérange pas a priori, pour peu que l’on considère que Mauriac, Giono ou Ramuz, ou Pirotte pour prendre un auteur dans le fonds belge, sont également des écrivains régionalistes. Mes drames humains sont placés dans un décor que je connais bien, c’est-à-dire, en principe, tout ce qui est situé au Sud de la Sambre jusqu’à la région de Rocroi, mais j’ai aussi écrit L’homme à la tête étoilée, qui a été finaliste du Rossel et qui est consacré à la vie d’un militaire de la guerre 14, et un recueil de nouvelles fantastiques dont Jean-Baptiste Baronian, qui venait de le découvrir, m’a dit récemment beaucoup de bien.

Vous vous êtes également mis au service de vos pairs en occupant de nombreuses fonctions officielles…
C’est à nouveau en 1973, l’année de ma retraite, on va finir par le savoir, que je suis devenu président de l’AEB (l’Association des écrivains belges). Je le suis resté jusqu’en 1994. C’est une institution qui a eu une importance énorme depuis sa fondation en 1902. À l’époque, l’AEB éditait ses membres, Van Lerberghe, Des Ombiaux ou Destrée, puis elle s’est efforcée de faire connaitre les auteurs de l’association, notamment en organisant des soirées qui réunissent chaque fois, encore aujourd’hui, trois ou quatre d’entre eux à l’occasion de publications nouvelles. Avec Emile Kesteman, nous avons ouvert un peu nos portes en organisant des rencontres européennes. Je fais également partie du Fonds national de la littérature, qui octroie des aides à l’édition. Je suis également président de la Commission d’achat de la Communauté française, qui attribue des bourses aux auteurs et achète les livres qui sont envoyés un peu partout dans le monde aux bibliothèques et aux universités qui consacrent un rayon ou un département à la littérature belge.

Vous êtes également académicien.
J’ai été élu, j’insiste sur ce point, on ne pose pas sa candidature, ce sont les académiciens qui vous sollicitent. J’ai succédé à Jeannine Moulin. Dans mes remerciements j’ai dit à mes collègues qu’ils devraient me subir pendant de très nombreuses années puisque j’étais seulement le troisième occupant de ce fauteuil. Ce sont des réunions très agréables où j’ai retrouvé Charles Bertin, un poète dont je me suis toujours senti très proche. Je m’y rends avec mon ami Willy Bal, autre académicien de Thudinie…

Mais vous êtes avant tout poète. Vos livres sont pour la plupart illustrés par des œuvres originales. Vous nous avez confié, pour illustrer cet article un poème illustré par un dessin d’Armand Simon. Est-ce que vous avez été influencé par les surréalistes ?

Je les ai fréquentés, principalement Armand Simon, qui a réalisé pour un de mes recueils quatorze dessins au crayon de couleur, une technique qu’il n’utilisait pratiquement jamais. J’ai aussi bien connu Chavée, qui carburait au rouge quand il venait chez moi avec Achille Béchet. On parlait de l’écriture automatique, à laquelle je ne crois guère. Chavée prétendait avoir écrit Identités de façon automatique. Il me disait « J’écris en alexandrins comme je respire ». Je trouve en tous cas que c’est la meilleure façon de respirer. Comme vous l’aurez remarqué, toute ma poésie est écrite en vers réguliers, il y a des hexamètres, des heptamètres, des octo- ou des décasyllabiques mais essentiellement des alexandrins, parfois transcendés par des vers de 14 ou 16 pieds. Mais l’alexandrin est mon mètre préféré, j’en écris tous les jours. Pour mes influences, Valéry m’a beaucoup marqué à mes débuts, mais les poètes vers lesquels je reviens sans cesse sont plutôt Cadou ou Philippe Jaccottet, dont j’ai toujours un livre à portée de main.

Thierry Leroy


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°144 (2006)