Paul Servaes, Emile Verhaeren

Émile Verhaeren : une biographie néerlandophone à enjeu européen

Paul SERVAES, Émile Verhaeren, Vlaams dichter voor Europa, EPO, 2012

servaes emile verhaeren vlaams dichter voor europaUne toute nouvelle biographie sur Émile Verhaeren vient de paraître. Rédigée en néerlandais, elle a pour titre – nous traduisons – Émile Verhaeren, poète flamand pour l’Europe, et pour auteur Paul Servaes, l’ancien conservateur du Musée provincial Émile Verhaeren à Saint-Amand. Pour ceux qui ne connaissent pas ce fervent admirateur du poète, rappelons qu’il a œuvré sa vie durant à la création du musée tel qu’on peut le découvrir actuellement, réalisation superbe mais qui a nécessité de lui bien du courage et de la ténacité. L’œuvre maîtresse n’en était pas pour autant achevée. Depuis son départ à la retraite, Servaes s’est employé à rassembler ses connaissances et ses réflexions sur la vie de Verhaeren en un ouvrage de plus d’un millier de pages. Biographie qui, par son ampleur autant que par son contenu, nous interpelle à plus d’un titre.

Commençons d’emblée par souligner l’inutilité de mesurer cet ouvrage à l’aune des biographies traditionnelles ou scientifiques. À travers un parcours chronologique mais également très éclectique, Servaes entend d’une part donner l’aperçu le plus complet possible de la vie du poète, très souvent en multipliant informations et détails significatifs, d’autre part confronter des pistes de recherche et de réflexion, tout en se distanciant de toute polémique et en rendant hommage à tout spécialiste ou critique qui s’est illustré sur l’un ou l’autre sujet. Il est sans doute l’un des seuls de nos jours à avoir lu non seulement tout ce que le poète a écrit mais aussi tout ce que l’on a publié sur lui. Celle ou celui qui s’apprête à travailler sur Verhaeren découvrira d’ailleurs en fin d’ouvrage l’une des bibliographies les plus exhaustives et les plus précises qui existe. Particulièrement intrigantes aussi sont ces notes terminant chaque chapitre où Servaes consigne toute une série d’interrogations, de remises en cause d’arguments, parfois même d’amers regrets comme autant de questions actuellement sans réponses mais que les spécialistes parviendront un jour peut-être à résoudre.

Mais ce qui émerge dans cet ouvrage comme informations nouvelles se rapporte à l’objectif majeur que Servaes s’est fixé : montrer la relation qui liait Verhaeren à la Flandre et ce dont celui-ci ne s’est jamais d’ailleurs caché. Or, à considérer l’étude extrêmement fouillée du milieu familial, de l’enfance et du parcours scolaire du poète, s’agit-il uniquement d’accentuer son enracinement dans la langue flamande ? À parcourir les descriptions minutieuses de ses multiples rapports avec les écrivains et les artistes de Flandre et des Pays-Bas, et à faire apparaître surtout son influence majeure sur le plan artistique dans cette région et ce pays, est-il question de le « rattacher » uniquement à la culture flamande et/ou néerlandophone ? Pour l’ancien conservateur qui s’est évertué pendant des dizaines d’années à établir des catalogues d’exposition bilingues pour le musée Verhaeren, ces allégations sont bien entendu vaines et simplistes. Il ne se gêne pas d’ailleurs pour évoquer et expliquer l’opposition du poète au projet de « flamandiser » l’Université de Gand, tout comme il s’attarde longuement sur l’ostracisme dont Verhaeren et son œuvre « fransquillonne » ont été victimes sous la pression du mouvement flamand. Son ouvrage a par conséquent pour finalité d’attribuer à Verhaeren, outre la place qu’il occupe déjà au sein des lettres françaises de Belgique et de la littérature française, la place qu’il mérite au sein des lettres flamandes et de la littérature néerlandophone en général. On comprendra désormais l’enjeu crucial de cette publication : la toute première biographie en néerlandais sur Verhaeren entend rappeler que l’un des poètes européens prépondérants de son époque a bénéficié d’une éducation et d’une évolution de sa carrière nourries de l’échange entre les langues et les cultures. Et l’avant-propos de l’ouvrage qui est signé par le président du conseil européen, Herman Van Rompuy, ne fait que renforcer cette réalité comme un idéal que l’on ferait bien de perpétuer.

David Gullentops


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°176 (2013)