Invitation aux voyages
Georges SIMENON, Les obsessions du voyageur, Textes choisis et commentés par Benoît Denis, La Quinzaine littéraire – Louis Vuitton, 2008
Oui et non ! S’il nous entraîne à sa suite autour du monde, « Simenon n’est pas un écrivain voyageur », comme l’indique Benoît Denis dès la première phrase de son introduction aux Obsessions du voyageur, la belle anthologie qu’il a composée à partir des reportages de l’auteur. Affirmation qu’il peut avancer en connaissance de cause. Il est, en effet, l’éditeur de la correspondance entre Simenon et Gide et le collaborateur de Jacques Dubois pour l’édition des deux volumes de Romans parus en 2003, en Pléiade, comme du troisième à venir très bientôt. Benoît Denis connaît bien ces obsessions qu’il recense avec soin et utilise comme autant de repères indicatifs dans son organisation.
Il faut expliciter ce qui pourrait passer pour un paradoxe, dissocier la mobilité constante de l’homme Simenon et le climat statique voire de stagnation qui caractérise la plupart de ses romans. Les textes sélectionnés ici proviennent essentiellement de ses reportages, effectués dans les années trente, avec une reprise en 1945, lorsqu’il va parcourir l’Amérique du nord. Alors qu’il voyage, il ne s’agit nullement de répondre à une commande extérieure. En fait, il propose spontanément ses reportages à de grands journaux pour financer les voyages qu’il décide d’accomplir en toute liberté. Ce qui lui plaît dans le voyage, c’est le mouvement sans doute, mais surtout le fait de quitter un lieu – de s’en défaire peut-être – pour un autre. Il aime le départ mais a horreur de l’arrivée. Pourtant, autre paradoxe, il s’adapte très vite et très facilement à un nouvel environnement. Il perçoit peu de différence entre un endroit et un autre, est même frappé par la similitude des hommes et des milieux. Bien qu’il soit un observateur attentif, parfois indiscret, et décrive les particularités les plus intimes sans pudeur, il néglige ou feint de gommer la différence. Bien plus que la satisfaction d’une curiosité, le voyage serait un choix, une façon d’être au monde et, selon ses termes, un « coup de fouet », une « médecine ». Un désir aussi d’aller à la rencontre d’autres pour vivre « toutes les vies possibles ».
Il est allé partout ou à peu près, mais préfère la France, à quoi il compare le reste. Le voyage en Afrique noire est certainement le plus étonnant, fondateur en quelque sorte. Où qu’il aille, Simenon prend le contre-pied des représentations officielles ou consensuelles. À défaut d’une vraie orientation politique, ses récits traduisent une opinion personnelle et peuvent être manifestement critiques. Anticolonialistes, par exemple, ou, lorsqu’il relate ses séjours en Europe centrale ou orientale, antisoviétiques.
En contraste saisissant avec l’Europe d’après-guerre, l’Amérique le séduit par sa prospérité. Il va s’y installer pour longtemps et y plantera plusieurs romans importants. À cette exception près, il considère que « partout » est un peu l’équivalent de « nulle part ». C’est l’écriture qui colore le monde. À l’écart du pittoresque, toujours, mais sous différents régimes : nerveux et émotif dans le reportage ; neutre et plus distant, dans le roman.
Jeannine Paque
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°154 (2008)