Théodore Koenig : Le Stan Kenton des lettres

Théodore Koenig

Théodore Koenig

Théodore Koenig, le Stan Kenton des lettres, à la fois moraliste et ouragan, aura eu, lui aussi, son propre orchestre impensable sans sa présence permanente – et dont il est l’ami incontesté.

Son art a été de tenter le diable le plus souvent possible : les puristes auront du mal à « cadrer » cette œuvre polymorphe où passent souvent le plaisir du jeu, le gout du défi, l’amour pervers des cocktails paradoxaux et un formidable élan vers le neuf, l’inouï, qui dans ses naïvetés mêmes, est toujours stimulant.

Les deux paragraphes ci-dessus sont à lire en italiques, ce sont en réalité deux citations : la première, tirée du Dictionnaire du jazz, rubrique Kenton, et la deuxième, des jumeaux Piqueray, extraite du numéro ultime de la revue Phantomas. C’est ainsi que je veux honorer la mémoire de Théodore, mort ce jeudi 24 avril 1997, peu après son 75e anniversaire : poète-critique, chef d’orchestre de Phantomas. Ses instrumentalistes furent aussi bien les Piqueray déjà cités, que Havrenne ou Noiret, les autres directeurs de la revue, et des dizaines d’autres, de Lowry à Gracq, de Bourgoignie à Mariën.

Entrainant, il parvint à éditer pendant 27 ans, au centre d’une Belgique sauvage, dans un Pays d’irréguliers, 163 numéros d’une revue littéraire totalisant plus de 5 000 pages : sans Phantomas, il y aurait un blanc dans la carte littéraire de ce dernier quart de siècle en langue française, écrit Faucherau.

Son premier livre datait de 1950, son dernier de 1996. À travers une quarantaine d’ouvrages, il cultivait, entre autres, l’aphorisme, produit belge comme la praline, l’exportant vers ses amis italiens et français. Les 7 types en or étaient sa cohorte (il résidait Via Romana Antica) : de Jacqmin le puriste, le plus éloigné du style koenigien, à Puttemans l’architecte, jubilatoire conteur.

Doué d’une capacité de médisance baudelairienne, pour lui-même il préférait jouer son Narcisse ; il y avait un plaisir évident à nourrir Théodore, le ventre de l’architexte, tout comme son appétit artistique légendaire, mêlant Rubens et Vandercam, Willems, et Erro, indifférent aux fautes d’orthographe, avec les graphies les plus pataphysiques pour Broodthaers ou Burroughs. Chimiste de profession, « quelle affure », disait-il, son domaine n’était pas le jazz, mais la gamme de réaction de nos 26 lettres, loin du français « une langue pour huissier », lui écrivait Dotremont.

Kenton, Stan (1912-1979) & Koenig, Théo (1922-1997) : pianiste, arrangeur, compositeur et chef d’orchestre, écrivain, etc.

Jean-Michel Pochet


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°98 (1997)