Raoul Vaneigem, Ni pardon ni talion

Vers le grand large !

Raoul VANEIGEM, Ni pardon ni talion, La Découverte, 2009

vaneigem ni pardon ni talionUne fois encore, Raoul Vaneigem offre un éclairage particulier au combat que cet ancien membre de l’internationale situationniste mène depuis de nombreuses années. Combat pour l’avènement d’un monde plus épris du droit au bonheur individuel fondé sur la justice et la non-violence que des faux-semblants pervers et des oppressions d’une société du profit.  (On sait que son propos s’ancre dans cette sorte de péché originel qu’aurait été le passage de la société nomade de cueilleurs et de chasseurs à celle des cultivateurs, exploiteurs sédentaires du sol). Si le sous-titre de Ni pardon ni talion évoque « la question de l’impunité dans les crimes contre l’humanité », cet angle d’attaque ne fait qu’illustrer, avec la fougue coutumière de l’auteur, l’ensemble plus vaste de sa pensée face au malentendu naïf ou à l’hypocrite imposture posés par la formule benoîtement consacrée : « Plus jamais ça ! »

En cause une justice qui, tout en accomplissant de louables efforts pour gagner en humanité comme pour réagir aux exactions et aux crimes les plus révoltants, reste passivement tributaire du  système qu’elle sert et accepte. Et qui, lui-même, engendre les violences et les comportements déviants contre lesquels elle est appelée à sévir. Si, bien entendu, Vaneigem ne disculpe pas les fauteurs de crimes, actes de terrorisme, prédations et autres exactions, il dénonce les conditions socio-économico-politiques, mais aussi culturelles, qui sont à la base de ces dérèglements. La loi du talion et le concept de punition sont aussi générateurs de violence et d’escalade dans la cruauté que ne le serait le fait de fermer les yeux sur un crime contre l’humanité, étant entendu, au passage, qu’il n’existe pas de crime qui ne soit contre l’humanité. « Il ne s’agit ni de punir ni de pardonner, il faut briser le cycle de l’inhumanité où se prend au piège quiconque lutte pour l’émancipation en se comportant aussi inhumainement que ses ennemis ».  Paresse et passivité mentales sont les complices privilégiées des soumissions à « l’aliénation dominante » : « Ceux qui vivotent à l’ordinaire sur ce fumier crient au rabâchage quand on leur suggère de le quitter. Plutôt l’ennui d’une existence confinée qu’un pas hasardé vers le grand large ! ». On retrouve d’un bout à l’autre de l’ouvrage le souffle épique, le sens de la formule et ce modelé de la phrase qui serait d’un tribun dont, à la simple lecture, on croit « entendre » marteler le discours. Tous éléments dont Vaneigem joue avec virtuosité depuis de nombreux lustres pour tenter d’enfoncer le coin d’une pensée « révolutionnaire », c’est à dire « rénovatrice », dans le ventre mou d’une société selon lui fourvoyée, pervertie et sans véritable avenir.

Ghislain Cotton


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°157 (2009)