
Jean-Pierre Verheggen
Jean-Pierre Verheggen, quant à lui, a reçu le prix triennal de Poésie, pour son « opéra bouche » Artaud Rimbur, publié à La Différence. Dans ce livre, qui a donné lieu à de nombreuses lectures performances, l’auteur du Grand cacaphone (préfacé par Norge), des Lettres d’amour à Gisella Fusani ou de Pubères putains rend un triple hommage à Rimbaud, Artaud et Michaux. Jacques Sojcher évoque ici les enjeux d’une œuvre qui affranchit l’amour du son.
Jean-Pierre Verheggen écrit depuis La grande mitraque (1968), un « hard poétique », un texte de foudre et de foutre (comme il le dit de celui d’Artaud), un « opéra-bouche ».
Point de fadeur, de petitesse, de français pincé, compassé, d’esthétisme d’académie, mais du faisandé, du « bien puer », du « bien se décomposer ».
Ce programme est résolument régressif (« La régression était notre plus grand bonheur ! »). Il tourne le dos à la servilité, à la soumission, à la domestication, aux gardiens, aux gredins, aux bovidés, à la roue des discours cultivés.
Il ouvre la bouche, il abouche les décontenances, les erreurs, les errances, les dessous, les glandes, les vices, les « crimen amoris ».
Comprenez-vous ? Il a le rythme au corps, le feu de l’enfer au derrière et il désire et il arde, il empiffre, il dégurgite, il baise les mots, les masturbe, il les inceste, il les viole, il les iconoclaste, il les hurle tout de go et à perte de souffle. Et il gagne avec mille longueurs d’avance sur le peloton des poètes poétisant, parce qu’il a l’innocence, l’évidence (que la langue a bien secouée), la vigueur et la fragilité des vrais champions de la jouissance, de la souffrance, de la littérature à vie.
Comprenez-vous ? « C’est juré » – c’est lui qui le dit – « C’est promis. À l’infini ». Cela ne peut plus s’arrêter – cette force, cette course effrénée contre la mort, ce corps jutant les mots de ces « couilles de colombe ».
Et dire, pleurnichent certains, qu’on enseignera ça dans les écolées ! Heureux élèves qui découvriront par ce poète artaurimburien, porno wallon rabelaisien, par ce « grand nègre », l’érection des mots, le sexe, les tripes, le cœur et l’âme de la langue, de la langue que l’on chante, que l’on mange, qui nous avalanche, qui nous emporte, qui nous déporte, qui sans Dieu – comme disait Artaud le mômô – fait régner la santé.
Car Verheggen est un immoraliste, comme Ninietzsche « complètement marteau », « totalement carnavalesque » et insouciant du « Kant-dira-t-on », tout gros de « gaz savoir » et des odeurs qui ne sont pas de sainteté.
Car Verheggen est obscène, barbare, « rebelge à tout esprit de sérieux et de conformisme ». Il déborde, il mitraque, il fait couic et couac, il bave, bande toujours, il dit « vive la Vie ! »… depuis 25 ans.
Cela méritait bien un prix triennal de poésie qui restera, dans les annales de notre histoire littéraire comme le certificat de mauvaises mœurs et de grande santé de nos Lettres à elles-mêmes.
Jacques Sojcher
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°78 (1993)