Le couple (etc.)
Michèle VILET, Cherche maison avec jardin, l’Acanthe, 2001
Michèle VILET, Pourquoi ai-je dit oui si vite?, Renaissance du livre, 2002
Dans Professeur de désir, Philip Roth fait dire au narrateur, à propos de son mariage, qu’« au début — comme le comprendra quiconque s’est jeté tête baissée, après trois ans d’atermoiements, dans la fournaise matrimoniale — au début nous nous disputions a propos de toasts. » Eh oui, le couple, c’est aussi — ou d’abord, ou bientôt, selon l’optimisme plus ou moins avéré des points de vue, ou la grâce des protagonistes —, c’est aussi cette petitesse, cette bassesse, cette mesquinerie qui transforme la relation amoureuse en guérilla permanente, qui l’use peu à peu à force de renoncements, de défaites mal digérées, de ressentiments. Sauf à s’en tenir aux sucreries d’Alexandre Jardin — mais ce n’est pas mon propos —, écrire l’histoire d’un couple impliquerait donc également d’étaler cette bêtise trop humaine, de s’immerger dans le marais un rien nauséabond, un rien sordide que peut constituer la vie à deux. Certes, pour qu’une œuvre d’art naisse d’un tel matériau, qu’un récit ne devienne pas ce qu’il dénonce ou déplore, le romancier devra regarder les choses d’un peu haut, pratiquer par exemple le détachement ironique et la mise en abyme — à quoi s’ajoute, chez Philip Roth, la prise de conscience explicite et amusée que la médiocrité amoureuse a pu plus noblement s’appeler, en littérature, la « désillusion romantique », ce qui est moins trivial mais guère moins navrant.
Dans Pourquoi ai-je dit oui si vite ?, Michèle Vilet aborde la vie du couple de manière très réaliste et pragmatique — trop peut-être. Deux retraités, divorcés, deux personnes libres mais qui supportent mal la solitude se rencontrent par le biais d’une agence matrimoniale. D’emblée, ils s’apprécient ; ils se revoient, comparent leurs goûts et aversions, se cherchent et se trouvent assez de points communs pour tenter de « faire quelque chose ensemble ». Chacun tient la plume à tour de rôle ; chacun est le narrateur tantôt ravi, tantôt dubitatif, tantôt agacé du roman de leur vie à deux. Avant de connaître Camille, Stephan trompait son ennui en étudiant minutieusement le Faust de Gœthe. Pour le reste, il n’était qu’attente ; il déprimait, désespérait qu’une femme pût à nouveau combler le vide de son existence. Des deux, il est le plus meurtri et le plus exigeant. De son côté, Camille partageait ses jours entre visites aux amis et à ses filles, cours de yoga et travail d’écriture plus ou moins continu. Après plusieurs mois passés à se découvrir, à s’apprivoiser, Stephan et Camille s’installent ensemble dans la campagne du Brabant flamand. Stephan y renoue avec sa passion pour le jardinage, avec son obsession d’« apporter la nourriture venant du potager et du petit élevage, la préparer, la conserver ». Vient alors le moment des récriminations réciproques, de la rancœur mal digérée : « Ce qu’elle peut être grincheuse, agaçante ! Chacun sait qu’on n’obtient rien sans y mettre l’énergie nécessaire (…) Elle pousse des soupirs, prend des airs de mijaurée (…) De quoi se plaint-elle, je fais la plus grosse part du travail, j’organise tout, elle n’a qu’à suivre scrupuleusement mes indications… » Stephan se révèle austère, voire autoritaire. Il envisage leur vie centrée sur le couple et le jardin, à l’exclusion d’à peu près tout le reste, alors que Camille veut garder une place pour ses enfants et ses petits-enfants et qu’elle veut se donner le temps de la rêverie et de l’écriture. Au fil des pages, le lecteur se sent devenir voyeur, comme s’il écoutait derrière la porte les chamailleries du couple ; et le pire, bien sûr, n’est pas le malaise de se trouver là comme par effraction, mais plutôt le sentiment qu’il n’y ait, après tout, que peu de chose à entendre. Malgré que Camille se soit inventé un double en Hugo Blackprinz, sorte de mauvaise conscience qui joue avec son désir — un peu velléitaire — d’écriture ; malgré les références de Stephan à Gœthe, malgré leurs souvenirs respectifs de la guerre et leurs histoires personnelles à la fois proches et dissemblables, l’impression demeure que la littérature laisse le plus souvent la place, dans ce roman, au banal bavardage de quidams. C’est la vie ordinaire rendue ordinairement, sans un style ou une vision qui la transcende. Naturellement, l’évocation de l’amour chez les aînés n’est pas si courante, mais il n’est pas certain, comme le proclame complaisamment la quatrième de couverture, que les « héros » de « cette saga d’un nouveau genre » « nous accompagnent bien après la dernière page du livre ».
Auteure de plusieurs recueils de poèmes et de contes, Michèle Vilet a publié en 2001 Cherche maison avec jardin. C’est ici l’enfance réinventée, sous un ciel de guerre qui ajoute encore à la sensation que réel et irréel sont mêlés, que la vie est devenue un conte avec ses parts de fantaisie et de frayeur : « Reviendront-ils, les rois ? Leurs épouses gèrent le royaume déconfit, envoient par coursiers photos et vêtements chauds, culottes de laine et salmigondis. » Le charme naît précisément de ces notations concrètes qui parsèment des proses poétiques au ton faussement puéril.
Laurent Robert
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°124 (2002)