Magritte : pourquoi essayer de comprendre?
Patrick WALDBERG, René Magritte : le hasard objectif, La Différence, coll. “Matière d’images”, 2009
“Un grelot, une forêt, un torse de femme, un pan de ciel, un rideau, une main, une montagne, au milieu du silence annonciateur. Et le vent mystérieux se lève, l’expérience va commencer.” C’est ainsi que Nougé saluait la peinture de celui qui reste aujourd’hui une des plus grandes figures de l’Art du vingtième siècle: René Magritte, personnage subversif, provocant et révolutionnaire mais surtout, une des gloires du surréalisme belge.
Un musée consacré à ses oeuvres s’est ouvert à Bruxelles, en juin 2009. Bien que beaucoup de textes furent édités sur sa peinture depuis sa mort en 1967, ceux de son ami Patrick Waldberg demeuraient jusqu’alors introuvables. L’ouverture du musée dans ce pays qui fut le point d’encrage permanent de Magritte était donc l’occasion de réediter cet essai brillant, fruit d’échanges constants entre les deux hommes.
Dans cet essai, publié pour la première fois en 1965, Patrick Waldberg tente de percer le mystère d’une oeuvre magistralement bercée par le sceau de l’étrangeté. Une exploration d’autant plus ardue que Magritte n’a, sur son travail, jamais donné d’explication souhaitée par un esprit raisonnable. Mais est-il nécessaire de chercher à comprendre là où, disait –il, penser au Sens reviendrait à penser à l’Impossible?
C’est donc un peu en “jockey perdu” ou à la manière d’un enfant que nous explorons ses toiles. Car elles nous offrent des images plus fortes que les images réelles, bien qu’elles soient la quintescence de la réalité. Devant nos yeux naît alors une quatrième dimension, un sixième sens, une seconde vie plus intense, plus vraie. En saisissant ainsi l’”apparence de l’apparence” ou cet “autre côté des choses”, Magritte nous dresse ce qui reste aujourd’hui le théâtre du Mystère.
Magritte , n’a jamais cessé d’illustrer cette phrase de Stendhal qui disait que “la peinture n’est que de la morale construite”. Car dès l’instant où le maître posait son regard sur les objets du monde, ceux-ci devenaient des images affectives et effectives, poétiques et réelles, quotidiennes et a-temporelles. Des images-emblèmes, en quelque sorte, hurlant, chuchottant, se moquant…toutes dépaysées, arrachées de leur fonction première mais capables de susciter en nous les émotions les plus vives.
Ces pensées-images ou pensées-emblèmes qui jalonnent son oeuvre sont habitées par la même force obscure et animées par la même volonté: un appel à un éveil et à une conscience plus haute. Ainsi ce livre redécouvert nous fait-il à son tour re-découvrir un artiste hors histoire tout comme ses oeuvres qui, plus que jamais, semblent échapper aux codes et au temps.
Delphine Lambert
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°158 (2009)