Liliane Wouters : « J’ai cent ans » – 5 février 2030

liliane wouters

Liliane Wouters

Dans une salle de rédaction, fin janvier 2030.

Kevin – Les anniversaires de février. Tu as pensé aux anniversaires de février?
Sara – Wouters, ça te dit quelque chose?
Kevin – Des Wouters, il y en a beaucoup. Lequel?
Sara – Liliane. 5 février 1930. Ça lui ferait cent ans.
Kevin – Une poétesse?
Sara – Et dramaturge. Il y avait, notamment, une pièce sur l’enseignement.
Kevin – Le contexte d’aujourd’hui doit la rendre obsolète, non?
Sara – Je ne sais pas, il faudrait lire.
Kevin – Et les poèmes?
Sara – Je me souviens d’un texte, attends… je l’ai appris dans le secondaire… au cours de morale…
Kevin – De morale!
Sara – Attends, attends. Ça y est :

Les quinze choses que jamais je n’ai pu faire :
courber le dos devant plus grand que moi,
marcher sur plus petit, montrer du doigt,
crier avec la foule, ou bien me taire,
reconnaitre parmi les Blancs le Noir,
choisir dix justes, nommer un coupable
trouver telle attitude convenable,
lire un autre que moi dans les miroirs,
conjuguer l’amour à plusieurs personnes,
résister à la tentation, blesser exprès,
rester dans l’indécis, dire Cambronne
au lieu de merde, qui est plus français

Kevin – Trop beau pour être vrai. Tu crois qu’elle était sincère?
Sara – Ça vaut peut-être la peine d’aller y voir.

Liliane Wouters


Texte publié dans Le Carnet et les Instants n°100 (1997)