L. Wouters, Paysage flamand avec nonnes, Espace Nord

Les printemps de Giesland

Liliane WOUTERS, Paysage flamand avec nonnes, postface Pierre Piret, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2013

wouters paysage flamand avec nonnes espace nordL’un de nos titres préférés de la collection Haute enfance des éditions Gallimard reparaît sous les couleurs d’Espace Nord : Paysage flamand avec nonnes. Poète majeur, dramaturge originale, mêlant fantaisie poétique, verve satirique et philosophie, Liliane Wouters y évoque son adolescence à l’école normale de Gijzegem, près d’Alost, rebaptisée Giesland.

Elle y entre à quatorze ans, en octobre 1944, et la quitte en juin 1949, pour entamer une longue carrière d’institutrice dans sa commune natale d’Ixelles (Bruxelles), restée son principal port d’attache.

Années de formation, sous l’austère devise Ora et labora, qu’elle retraverse avec nous. Sur la trace des pensionnaires vêtues de bleu, chapeautées de gris pour la promenade, encadrées de nonnettes en cornettes empesées. Des salles de classes à la chapelle, du réfectoire au dortoir, dans le couvent dont elle sent encore l’odeur : « un mélange de Javel, de pommes, d’encaustique et d’encens ».

Vie strictement réglée, frugale, scandée du lever au coucher par les prières. Où bat, malgré les contraintes, l’éclatante gaieté des vertes années : « sous une telle férule, je sais que nous riions pourtant beaucoup ».

Où palpite l’amitié. Comment oublier le trio inséparable que Liliane forme d’emblée avec Isabelle et Julie, toutes trois douées pour le bonheur, frondeuses, collectionnant les meilleures notes mais aussi les espiègleries, les impertinences, qui leur vaudraient plus d’une fois des points de conduite dans le rouge ! Une connivence lumineuse, qui se révèlera au fil du temps, des absences, des silences et des retrouvailles, indestructible.

C’est à cette époque aussi que la petite citadine recevait « le baptême de la nature » ; s’initiait à la beauté mouvante des saisons. « J’ai contemplé le réveil de la nature en bien d’autres lieux, certains admirables, en Bretagne, dans les landes couvertes de genêts, en Autriche, au milieu d’alpages où des dizaines de ruisseaux couraient sur la mousse, près des lacs italiens, quand le moindre souffle d’air apporte des parfums suaves. Mais à chaque printemps, c’est à ceux de Giesland que je pense. […] Chaque printemps me ramène à Giesland. »

Si sa plume se fait tour à tour ironique, nostalgique, critique, émue, si elle n’occulte pas l’étroitesse d’esprit, les mesquineries, les consignes ridicules (« à Giesland courir dans les corridors était déjà un délit »), elle éprouve, moissons faites, une profonde gratitude envers cette école de vie qui, sous sa sévérité rigide, n’était pas dénuée de noblesse. Cette éducation qui l’a forgée. « Je sais qu’aux pires moments de mon existence j’y ai puisé des forces. » Envers ces femmes qui ont marqué sa jeunesse : « Si leurs cornettes, souvent, leur ont servi d’œillères, si la plupart péchaient par ignorance, frustration ou manque d’ouverture, je sais qu’elles voulaient notre bien et qu’elles y consacraient leur existence. Somme toute, elles nous aimaient. Et nous donnaient ce qu’elles pouvaient donner, beaucoup ou peu. Pour quelques-unes, c’était beaucoup. »

Liliane Wouters ne nous avait jamais encore livré un texte en prose de cette dimension, mais nous la reconnaissons d’emblée dans l’indépendance, la fermeté, la concision du ton, la justesse du regard, la précision du trait. Un mélange de finesse et de robustesse, de tendresse pudique et d’ironie.

Elle est toujours celle dont Roger Bodart écrivait, dans sa préface à La marche forcée (son premier recueil paru en 1954), évoquant la jeune inconnue qui deux ans plus tôt lui avait envoyé des poèmes : « on sentait bien que leur auteur ignorait à peu près tout de la littérature d’aujourd’hui. Sa valeur venait de là : elle ne devait rien qu’à elle-même. »

Francine Ghysen


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°178 (2013)