Nadine MONFILS, Maboul Kitchen, Paris, Belfond, 2015, 288 p., 19€/ePub : 12.99 €
Internée « Aux Joyeux Grelots » après son fiasco sentimental avec Jean-Claude Van Damme, Mémé Cornemuse jette son dévolu sur l’aristo voussoyant Gilberto Van Pinderlock. Ou plutôt sur le domaine familial de cet homme en pompes croco car cette mangeuse d’hommes à tendance cougar, qui n’aime « que la chair fraîche et les musclés de la membrane. Pas les mous du bulbe », tire des plans sur la comète pour dorer son avenir : ouvrir un palace sur la Riviera et le diriger… en mante religieuse ! À l’aide d’arguments convaincants (gâteries pour l’amant crédule boosté au viagra et pistolet braqué sur la tempe pour le directeur du nid de coucous), elle quitte l’asile avec son futur ex-mari, direction… Saint-Amand-sur-Fion ! Là, notre Perrette déchante à la vue d’un édifice de style gothique international, certes, mais surtout complètement délabré et perdu dans une cambrousse où il y a « trois vaches et un mouton qui s’emmerdent dans un pré ». Le cadre est bien moins fun que Saint-Tropez, sa promenade des Anglais et ses Gendarmettes.
L’aïeule ne se laisse pas abattre pour autant : elle regorge d’idées et d’énergie, à l’instar de son idole, l’increvable Annie Cordy, dont elle connaît tout le répertoire. Elle veut son endroit hype, trendy et branchouille – synonyme de fric à gogo –, et elle l’aura, dût-elle employer des moyens moyennement moraux ! De toute façon, les situations limites et les bisbrouilles, elle aime ça : « Plus que le pognon dont elle n’avait jamais été l’esclave, Cornemuse aimait foutre la pagaille. S’éclater était son but principal et l’avait toujours été. Au cours de sa vie tumultueuse, elle avait vogué entre la richesse et la pauvreté, prouvant que “bien mal acquis profite souvent”. Mais elle était capable de tout plaquer pour rester libre. “Ni Dieu ni maître”, comme Carmen Cru. Et pas de morale non plus. Enfin, elle avait la sienne. Une sorte de logique à l’envers. Un peu pareille à un vieux réveil qui continue à faire tic-tac mais qui ne donne jamais l’heure exacte. »
Grâce à la vente de quelques croûtes (dont un Mirò) et pépites (des Magritte), la ruine Van Pinderlock est complètement reliftée, retendue, ravalée. L’endroit se voit doté d’une piscine, d’une salle de yoga, d’un sauna, d’un mini parc d’attractions, d’un restaurant, de suites royales, etc., ainsi que d’un nom aussi mégalo que l’est sa conceptrice : « The Kindgdom of Bimbo Land ». Tout un programme… Comme personnel de maison, Madame la duchesse (autoproclamée, il va s’en dire) trie sur le volet quelques « drôles de truffes » de l’asile. Elle embauche donc, sans s’encombrer de leur rémunération, le général de pacotille Von Trota, cliquetant de toutes ses médailles acquises en brocantes ; les croulants Roger Robinet, phobique des tuyauteries, et Pignouf, barman dont les pavés montmartrois ont fracassé la carrière et la tête ; l’ex-danseuse du Moulin-Rouge Lulu, allergique aux tutus et se baladant cul nu, et la possédée du crochet Bertha ; le geek matricide Mimosa ; les artistes Bocuze, cuistot parkinsonien aux goûts très particuliers, et Bébert, photographe aux clichés flous, mal cadrés et obsessionnellement découpés en languettes à recycler ; enfin, Fioul Brûleur, chauffagiste obsédé par la lessive de ses caleçons, et Gégé Vogelpik, borgne par accident de fléchettes et pirate de vaisseau fantôme.
Une fois son Gilberto de mari évincé au bord d’une falaise à Étretat, Mémé Cornemuse régente seule, dans une langue pas piquée des vers et sur un ton souvent vert, cette brochette de bras cassés et d’esprits fêlés. Elle mène sa barque, aux allures de yacht et à l’équilibre de chaloupe, tambour battant et pigeonnant les gens. Sa cible privilégiée : Jules Pignet, le maire du village. Cet élu provincial, à l’esprit tout aussi combinard que celui de l’Ancêtre, lorgne depuis des mois sur la bâtisse qu’il souhaite réhabiliter en logements sociaux (qui riment avec magouilles et thunes dans la popoche). Bien entendu, il n’a pas prévu l’arrivée de la Tornade aux éternelles culottes Thermolactyl (« parce que c’est toujours par là qu’on attrape des misères ») qui sème autour d’elle kidnapping, meurtres, vols, mœurs échangistes, faux miracles, etc. En effet, au nom de la sainte triade « lucre, luxe et luxure », l’intrépide mamy ne reculera devant aucun sacrivice…
Adeptes de la veine « polar déjanté » en vogue, ruez-vous sur la quatrième aventure de Mémé Cornemuse ; rétifs aux péripéties rocambolesques et aux effets humoristiques à la (grosse) louche, détournez-vous : la vieille bique vous rendrait… mabouls !
Samia HAMMAMI
♦ Lire un extrait de Maboul Kitchen proposé par Belfond