Évelyne WILWERTH, N’oublions jamais les caresses, M.E.O., 2017, 110 p., 14€ ISBN : 978-2-8070-0108-4
Ce nouvel opus d’Évelyne Wilwerth se déroule lors d’une après-midi caniculaire sur une place en demi-cercle d’une capitale européenne. Il se présente sous la forme de 45 tableaux proposant tour à tour le point de vue de différents personnages transitant sur ladite place. Certains se connaissent, s’observent, tissant les fils d’un réseau qui prend presque forme humaine, tellement on sent battre ses pulsations.
On découvre alors sans transition l’univers d’Apolline, cette artiste peintre en deuil et en mal d’inspiration ; Canberra et Lausanne en plein vertige sensuel ; Nadim qui, du haut de ses 6 ans, veut s’ouvrir aux changements ; Athanase, le vieux Grec en plein questionnement existentiel ; la Frisée, qui tient toujours un objet noir en main ; Dame Dentelle, une fleur assoiffée sur son balcon ; enfin, Corbillard, le chien d’un SDF, fidèle à son maître, alors qu’il n’a que des miettes de nourriture et de tendresse.
[C]ette fidélité […] reçu plus aucun gramme d’amour ou au moins de respect depuis plus d’un an c’est moi l’idiot l’idiot qui a peut-être peur de changer de vie peur de quitter peur de le quitter […]
Les mots gentils. Quatre maximum.
Les injures. Des centaines.
Les coups de pied. Des centaines.
Donc.
En plus, je crève de faim.
En plus, je suis libre.
La tension sur la place est palpable et va crescendo, on sent la « fièvre d’une société qui tourne sur elle-même ». À travers un style concis, parfois presque télégraphique et dénué de ponctuation, Évelyne Wilwerth nous insuffle le sentiment d’urgence qui anime les personnes et suggère l’éclatement imminent.
Et je rejette brutalement les draps, je pousse un cri, Lausanne ! la joie est inouïe, nos peaux se retrouvent, et nos rires, et nos folies, le lit tangue déjà, nous partons pour le tout grand voyage, nous renouons avec la fièvre, la grande célébration des corps nos corps l’exacerbation le désir trop fort qui fait mal je suis toi toi Lausanne toi Canberra six mois c’est trop beaucoup trop oh nos peaux et la fusion déjà, elle sera longue brûlante parfaite […] c’est le grand vertige.
N’oublions jamais les caresses est qualifié de roman, mais il pourrait tout aussi bien être considéré comme une pièce de théâtre dans le répertoire absurde. On y retrouve en effet des didascalies au début de chaque tableau et des monologues ou dialogues mettant en lumière le cirque humain cher à Ionesco. L’auteure se distingue cependant de ce dernier par son style empreint de sensorialité et ses métaphores qui apportent une touche de poésie à une réalité parfois dure. La réalité présentée est vibrante, comme un cri prêt à surgir.
Longtemps qu’on n’a plus offert une caresse.
Longtemps qu’on n’a plus caressé.
Une fourrure.
Un animal.
Une peau humaine.
Sous laquelle vibre une âme ailée.
Séverine Radoux